-- Voici le Prince, dit Jackson, à un bourdonnement confus qui vint de la porte.

Je vis Georges s'avancer à grands fracas avec un sourire bienveillant sur sa face pleine de bonhomie.

Mon oncle lui souhaita la bienvenue et lui amena quelques Corinthiens pour les lui présenter.

-- Nous aurons des ennuis, vieux, dit Belcher à Jackson. Berks boit du gin à même la cruche et vous savez quel cochon ça fait quand il est saoul.

-- Il faut lui mettre un bouchon, papa, dirent plusieurs des autres boxeurs. Quand il est à jeun on ne peut pas dire qu'il est un charmeur, mais quand il est chargé, il n'y a plus moyen de le supporter.

Jackson, en raison de ses prouesses et du tact dont il faisait preuve, avait été choisi comme ordonnateur en chef de tout ce qui concernait le corps des boxeurs, qui le désignait habituellement sous le nom de commandant en chef.

Lui et Belcher s'approchèrent de la table sur laquelle Berks s'était perché.

Le coquin avait déjà la figure allumée, les yeux lourds et injectés. -- Il faut bien vous tenir ce soir, Berks, dit Jackson. Le Prince est ici et...

-- Je ne l'ai pas encore aperçu, dit Berks quittant la table en chancelant. Où est-il, patron? Allez lui dire que Joe Berks serait très fier de le secouer par la main.

-- Non, pas de ça, Joe, dit Jackson en posant la main sur la poitrine de Berks qui faisait un effort pour se frayer passage dans la foule. Vous ferez bien de vous tenir à votre place. Sinon nous vous mettrons à un endroit où vous ferez autant de bruit qu'il vous plaira.

-- Où est-il cet endroit, patron?

-- Dans la rue, par la fenêtre. Nous entendons avoir une soirée tranquille, comme Jem Belcher et moi nous allons vous le montrer, si vous prétendez nous faire voir de vos tours de Whitechapel.

-- Doucement, patron, grogna Berks, sûrement j'ai toujours eu la réputation de me conduire comme il faut.

-- C'est ce que j'ai toujours dit, Berks, et tâchez de vous conduire comme si vous l’étiez. Mais voici que notre souper est prêt. Le Prince et Lord Sele font leur entrée. Deux à deux, mes gars, et n'oubliez pas dans quelle société vous êtes.

Le repas fut servi dans une grande salle où le drapeau de la Grande-Bretagne et des devises en grand nombre décoraient les murs.

Les tables étaient arrangées de façon à former les trois côtés d'un carré.

Mon oncle occupait le centre de la plus grande et avait le Prince à sa droite, Lord Sele à sa gauche. Il avait eu la sage précaution de répartir les places à l'avance, de manière à répartir les gentlemen parmi les professionnels et à éviter le danger de mettre côte à côte deux ennemis, comme celui de placer un homme, qui avait été récemment vaincu, à côté de son vainqueur.

Quant à moi, j'avais d'un côté le champion Harrison et de l'autre un gros gaillard à figure épanouie qui m'apprit qu'il se nommait Bill War, qu'il était propriétaire d'un public house à l'Unique Tonne dans Jermyn Street, et qu'il était un des plus rudes champions de la liste.

-- C'est ma viande qui me perd, monsieur, me dit-il. Ça me pousse sur le corps avec une rapidité surprenante. Je devrais me battre à treize stone huit onces et je suis arrivé au poids de dix-sept. Ce sont les affaires qui en sont la cause. Il faut que je reste derrière le comptoir toute la journée et pas moyen de refuser une tournée de peur de fâcher un client. Voilà qui a perdu plus d'un champion avant moi.

-- Vous devriez prendre ma profession, dit Harrison. Je me suis fait forgeron et je n'ai pas pris un demi-stone de plus en quinze ans.

-- Chez nous, les uns se mettent à un métier, les autres à un autre, mais le plus grand nombre se font tenanciers de bars pour leur compte.

-- Voyez Will Wood que j'ai battu en quarante rounds au beau milieu d'une tempête de neige par là-bas, du côté de Navestock. Il conduit une voiture de louage. Le petit Firby, ce bandit, est garçon de café à présent. Dick Humphries... il est marchand de charbon, il a toujours tenu à être distingué. Georges Ingleston est voiturier chez un brasseur. Mais quand on vit à la campagne, il y a au moins une chose qu'on ne risque pas, c'est d'avoir des jeunes Corinthiens et des étourneaux de bonne famille toujours devant vous à vous provoquer en face.

C'était bien le dernier inconvénient auquel, selon moi, fût exposé un professionnel fameux par ses victoires, mais plusieurs gaillards à figures bovines, qui étaient de l'autre côté de la table, approuvèrent de la tête.

-- Vous avez raison, Bill, dit l'un d'eux. Personne n'a autant que moi d'ennuis avec eux. Un beau soir, les voilà qui entrent dans mon bar, échauffés par le vin. «C'est vous qui êtes Tom Owen, le boxeur, que dit l'un d'eux» «À votre service, Monsieur, que je réponds.» «Eh bien, attrapez ça,» dit-il, et voilà une bourrade sur le nez, ou bien ils me lancent une gifle du revers de la main, à travers les chopes, ou bien c'est autre chose. Alors, ils peuvent aller brailler partout qu'ils ont tapé sur Tom Owen.

-- Est-ce que vous ne leur débouchez pas quelques fioles en récompense? demanda Harrison.

-- Je ne discute jamais avec eux; je leur dis: «À présent, Messieurs, ma profession est celle de boxeur et je ne me bats pas pour l'amour de l'art, pas plus qu'un médecin ne vous drogue pour rien, pas plus qu'un boucher ne vous fait cadeau de ses tranches de rumsteak. Faites une petite bourse, mon maître, et je vous promets de vous faire honneur. Mais ne vous figurez pas que vous aller sortir d'ici, vous faire gorger à l'oeil par un champion de poids moyen.»

-- C'est aussi comme cela que je fais, Tom, dit son gros voisin. S'ils mettent une guinée sur le comptoir -- ils n'y manquent pas quand ils ont beaucoup bu -- je leur donne ce que j'estime valoir une guinée et je ramasse l'argent.

-- Mais s'ils ne le font pas. -- Eh bien! dans ce cas, il s'agit d'une attaque ordinaire contre un fidèle sujet de Sa Majesté, le nommé William War. Je les traîne devant le magistrat le lendemain. Ça leur coûte huit jours ou vingt shillings.

Pendant ce temps, le souper avançait à grand train.

C'était un de ces repas solides et peu compliqués qui étaient à la mode au temps de nos grands-pères et cela vous expliquera, à certains d'entre vous, pourquoi ils n'ont jamais connu ces parents-là.

De larges tranches de boeuf, des selles de mouton, des langues fumées, des pâtés de veau et de jambon, des dindons, des poulets, des oies, toutes les sortes de légumes, un défilé de sherrys ardents, de grosses ales, tel était le fond principal du festin.

C'était la même viande et la même cuisine devant laquelle auraient pu s'attabler, quatorze siècles auparavant, leurs ancêtres norvégiens et germains.

Et à vrai dire, comme je contemplais à travers la vapeur des plats ces rangées de trognes farouches et grossières, ces larges épaules, qui s'arrondissaient par-dessus la table, j'aurais pu croire que j'assistais à une de ces plantureuses bombances de jadis, où les sauvages convives rongeaient la viande jusqu'à l'os, puis, en leurs jeux meurtriers, jetaient leurs restes à la tête de leurs captifs.

Jim Harrison, boxeur Page 37

Arthur Conan Doyle

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