-- Par Jupiter, dit le Prince dont la figure devenait plus rouge et les yeux de plus en plus ternes, je me présenterais moi-même si ma position était différente. Vous m'avez vu avec les gants Jackson. Vous connaissez ma forme?

-- J'ai vu Votre Altesse Royale, dit Jackson en bon courtisan, et j'ai senti les coups de Votre Altesse Royale.

-- Peut-être Jem Belcher consentirait-il à nous donner une séance.

Belcher secoua sa belle tête en souriant.

-- Voici mon frère Tom ici présent qui n'a jamais saigné à Londres. Il ferait un match plus équitable.

-- Qu'on me le donne à moi, hurla Joe Berks. J'ai attendu tout ce soir une affaire et je me battrai contre quiconque cherchera à prendre ma place. Ce gibier-là, c'est pour moi, mes maîtres. Laissez-le-moi si vous tenez à voir comment on prépare une tête de veau. Si vous faites passer Tom Belcher avant moi, je me battrai avec Tom Belcher et après, avec Jem Belcher ou Bill Belcher ou tous les Belcher qui ont pu venir de Bristol.

Il était clair que Berks s'était mis dans un état tel qu'il fallait qu'il se battît avec quelqu'un.

Sa figure grossière était tendue.

Les veines faisaient saillie sur son front bas. Ses méchants yeux gris se portaient malignement sur un homme, puis sur un autre, en quête d'une querelle.

Ses grosses mains rouges étaient serrées en poings noueux. Il en brandit un d'un air menaçant tout en promenant autour des tables son regard d'ivrogne.

-- Je suppose, gentlemen, que vous serez comme moi d'avis que Joe Berks ne s'en trouvera que mieux, s'il se donne un peu d'air frais et d'exercice, dit mon oncle. Avec le concours de Son Altesse Royale et de la compagnie, je le désignerai comme notre champion en cette occasion.

-- Vous me faites grand honneur, s'écria l'individu qui se leva en chancelant et commença à ôter son habit. Si je ne l'avale pas en cinq minutes, puissé-je ne jamais revoir le Shroshire.

-- Un instant, Berks, crièrent plusieurs amateurs. Dans quel endroit la lutte aura-t-elle lieu?

-- Où vous voudrez, mes maîtres, je me battrai dans la fosse d'un scieur de long ou sur le dessus d'une diligence, comme vous voudrez. Mettez-nous pied contre pied et je me charge du reste.

-- Ils ne peuvent passe battre ici, au milieu de cet encombrement. Où donc aller? dit mon oncle.

-- Sur mon âme, Tregellis, s'écria le Prince, je crois que notre ami l'inconnu aurait son avis à donner sur l'affaire. Ce serait lui manquer complètement d'égards que de ne pas lui laisser le choix des conditions.

-- Vous avez raison, Sir, il faut le faire monter.

-- Voilà qui est bien facile, car il franchit justement le seuil.

Je jetai un regard autour de moi et j'aperçus un jeune homme de haute taille, fort bien vêtu, couvert d'un grand manteau de voyage de couleur brune et coiffé d'un chapeau de feutre noir.

Une seconde après, il se tourna et je saisis convulsivement le bras du champion Harrison.

-- Harrison, fis-je d'une voix haletante, c'est le petit Jim.

Et cependant dès le premier moment, il m'était venu à l'esprit que la chose était possible, qu'elle était même probable.

Je crois qu'elle s'était également présentée à l'esprit d'Harrison, car je remarquai une expression sérieuse, puis agitée sur sa physionomie, dès qu'il fut question d'un inconnu qui était en bas.

En ce moment, dès que se fut calmé le murmure de surprise et d'admiration causé par la figure et la tournure de Jim, Harrison se leva en gesticulant avec véhémence.

-- C'est mon neveu Jim, gentlemen, cria-t-il. Il n'a pas vingt ans, et s'il est ici, je n'y suis pour rien.

-- Laissez-le tranquille, Harrison, s'écria Jackson. Il est assez grand pour répondre lui-même.

-- Cette affaire est allée assez loin, dit mon oncle. Harrison, je crois que vous êtes trop bon sportsman pour vous opposer à ce que votre neveu prouve qu'il tient de son oncle.

-- Il est bien différent de moi, s'écria Harrison au comble de l'embarras. Mais je vais vous dire, gentlemen, ce que je puis faire. J'avais décidé de ne plus remettre les pieds dans un ring. Je me mesurerai volontiers avec Joe Berks, rien que pour divertir un instant la société.

Le petit Jim s'avança et posa la main sur l'épaule du champion.

-- Il le faut, oncle, dit-il à mi-voix mais de façon que je l'entendis, je suis fâché d'aller contre vos désirs, mais mon parti est pris, et j'irai jusqu'au bout.

Harrison secoua ses vastes épaules.

-- Jim, Jim, vous ne vous doutez pas de ce que vous faites. Mais je vous ai déjà entendu tenir ce langage et je sais que cela finit toujours par ce qui vous plaît.

-- J'espère, Harrison, que vous avez renoncé à votre opposition? demanda mon oncle.

-- Puis-je prendre sa place?

-- Vous ne voudriez pas qu'on dise que j'ai porté un défi et que j'ai laissé à un autre le soin de le tenir? dit tout bas Jim. C'est mon unique chance. Au nom du ciel, ne vous mettez pas en travers de ma route.

La large figure, ordinairement impassible, du forgeron était bouleversée par la lutte des émotions contradictoires.

À la fin, il abattit brusquement son poing sur la table.

-- Ce n'est point ma faute, s'écria-t-il, ça devait arriver et c'est arrivé. Jim, au nom du ciel, mon garçon, rappelez-vous vos distances et tenez-vous à bonne portée d'un homme qui pourrait vous rendre seize livres.

-- J'étais certain qu'Harrison ne s'obstinerait pas quand il s'agit de sport, dit mon oncle. Nous sommes heureux que vous soyez venu, car nous pourrons nous entendre et prendre les arrangements nécessaires en vue de votre défi si digne d'un sportsman.

-- Contre qui vais-je me battre? dit Jim en jetant un regard sur toutes les personnes présentes qui étaient toutes debout en ce moment.

-- Jeune homme, vous verrez à qui vous avez affaire, avant que la partie soit engagée à fond, cria Berks en se frayant passage par des poussées inégales à travers la foule. Vous aurez besoin d'un ami pour jurer qu’il vous reconnaît avant que j'aie fini, voyez- vous?

Jim le toisa et le dégoût se peignit sur tous les traits de sa figure.

-- Assurément, vous n'allez pas me mettre aux prises avec un homme ivre? dit-il. Où est Jem Belcher?

-- Me voici, jeune homme.

-- Je serais heureux de m'essayer avec vous, si je le puis.

-- Mon garçon, il faut percer par degrés jusqu'à moi. On ne monte pas d'un bond d'un bout à l'autre de l'échelle, on la gravit échelon par échelon. Montrez-vous digne d'être un adversaire pour moi, et je vous donnerai votre tour.

-- Je vous suis fort obligé.

-- Et votre air me plaît, je vous veux du bien, dit Belcher en lui tendant la main.

Ils étaient assez semblables entre eux, tant de figure que de proportions, à cela près que le champion de Bristol avait quelques années de plus.

Il s'éleva un murmure d'admiration quand on vit côte à côte ces deux corps de haute taille, sveltes, et ces traits aux angles vifs et bien marqués.

-- Avez-vous fait choix de quelque endroit pour le combat? demanda mon oncle.

-- Je m'en rapporte à vous, monsieur, dit Jim.

-- Pourquoi n'irait-on pas à Five's Court? suggéra sir John.

Jim Harrison, boxeur Page 42

Arthur Conan Doyle

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