Rien d'étonnant à ce qu'il y eut, au fond du coeur des plus braves, une crainte de la puissance française, et cette animosité a toujours pour résultat d'engendrer une haine amère et pleine de rancune.

Alors les marins parlèrent sans bienveillance de leurs récents ennemis.

Ils les haïssaient sincèrement et selon l'usage de notre pays, ils disaient tout haut ce qu'ils avaient sur le coeur.

En ce qui concernait les officiers français, il était impossible d'en parler dune façon plus chevaleresque, mais quant à la nation, ils l'avaient en horreur.

Les vieux avaient combattu contre eux dans la guerre d'Amérique, combattu encore pendant ces dix dernières années, et on eût dit que le désir le plus ardent qu'ils eussent dans le coeur était de passer le reste de leur vie à combattre encore contre eux.

Mais si j'étais surpris de la violente animosité qu'ils témoignaient à l'égard des Français, je ne l'étais pas moins de voir à quel degré ils les appréciaient.

La longue série des victoires anglaises avait fini par obliger les Français à s'abriter dans les ports, à renoncer avec désespoir à la lutte et cela nous avait fait croire à tous que, pour une raison ou une autre et par la nature même des choses, l'Anglais sur mer avait toujours le dessus contre le Français.

Mais ceux qui avaient participé à la lutte n'étaient nullement de cet avis.

Ils se répandaient en bruyants éloges sur la vaillance de leurs adversaires et ils expliquaient leur défaite par des raisons précises.

Ils rappelaient que les officiers de l'ancienne marine française étaient presque tous des aristocrates, que la Révolution les avait chassés de leurs vaisseaux et que la face navale était tombée entre les mains de matelots indisciplinés et de chefs sans compétence.

Cette flotte mal commandée avait été rudement rejetée dans les ports par la poussée de la flotte anglaise qui avait de bons équipages bien commandés.

Elle les y avait maintenus immobiles, de sorte qu'ils n'avaient eu aucune occasion d'apprendre les choses de la mer. Leur exercice dans les ports, leur tir au canon dans les ports ne servaient à rien, quand il s'agissait de voiles à carguer, de bordées à tirer sur un vaisseau de ligne qui se balançait sur les vagues de l'Atlantique.

Quand une de leurs frégates gagnait le large et qu'elle pouvait naviguer librement un couple d'années, alors son équipage arrivait à connaître son affaire et un officier anglais pouvait espérer mettre une plume à son chapeau, lorsque avec un navire d'égale force il arrivait à lui faire amener son pavillon.

Telles étaient les opinions de ces officiers expérimentés qui les appuyaient de nombreux souvenirs de preuves multiples de la vaillance française.

Ils citaient, entre autres, la façon dont l'équipage de l’Orient avait employé ses canons de gaillard d'arrière, pendant que, sous leurs pieds, le pont était en feu et qu'ils savaient qu'ils se battaient sur une soute aux poudres prête à sauter.

On espérait en général que l'expédition des Indes Occidentales qui avait eu lieu depuis la paix, aurait donné à beaucoup de navires l'expérience de l'Océan et qu'on pourrait se hasarder à les faire sortir du Canal si la guerre venait à éclater de nouveau.

Mais recommencerait-elle?

Nous avions dépensé des sommes fabuleuses et fait des efforts immenses pour faire fléchir la puissance de Napoléon et l'empêcher de se faire le despote de l'Europe entière.

Le gouvernement l'essaierait-il une fois de plus?

Se laisserait-il épouvanter par le poids effrayant d'une dette qui ferait courber le dos à bien des générations futures?

Pitt était là et certes, il n'était point homme à laisser la besogne à moitié faite.

Soudain, il y eut de l'agitation près de la porte.

Parmi les nuages gris de fumée de tabac, j'entrevis un uniforme bleu et des épaulettes d'or, autour desquels se formait un rassemblement dense, pendant qu'un rauque murmure, partant du groupe, se changeait en applaudissements lancés par de fortes poitrines.

Tout le monde se leva pour regarder.

On se demandait les uns aux autres de quoi il s'agissait.

Mais la foule bouillonnait et les applaudissements redoublaient.

-- Qu'est-ce que c'est? Qu'est-ce qu'il arrive? demandaient une vingtaine de voix.

-- Enlevons-le! Hissons-le, cria quelqu'un et, aussitôt après, je vis le capitaine Troubridge au-dessus des épaules de la foule.

Sa figure était rouge, comme s'il était sous l'influence du vin et il agitait quelque chose qui ressemblait à une lettre.

Les applaudissements se turent peu à peu et il se fit un tel silence que j'aurais pu discerner le froissement du papier dans sa main.

-- Grandes nouvelles, gentlemen, cria-t-il, grandes nouvelles! Le contre-amiral Collingwood m'a chargé de vous les communiquer. L'ambassadeur de France a reçu ses passeports ce soir. Tous les vaisseaux qui figurent à l'Annuaire vont recevoir leur commission. L'amiral Cornwallis doit quitter la baie de Cawsand pour croiser au large d'Ouessant. Une escadre part pour la Mer du Nord, une autre pour la mer d'Irlande.

Il avait sans doute d'autres nouvelles à donner, mais son auditoire ne voulut pas en entendre davantage.

Comme on criait, comme on trépignait, quel délire!

Prudes et vieux officiers à pavillon, graves capitaines d'armes, jeunes lieutenants, tous criaient à tue-tête comme des écoliers échappés en vacances.

On ne songeait plus à ces cuisants et multiples griefs que j'avais entendu énumérer.

Le mauvais temps était passé.

Les oiseaux de mer, captifs sur terre, allaient raser l'écume, une fois encore.

Les notes du God Save the King dominèrent majestueusement le bruit confus.

J'entendis les antiques vers chantés d'une façon qui faisait oublier leurs mauvaises rimes et leur banalité.

J'espère que vous ne les entendrez jamais chanter ainsi, avec des larmes sur les joues ridées, avec des sanglots dans des voix d'hommes énergiques.

Ceux qui parlent du flegme de nos compatriotes ne les ont jamais vus quand la croûte de lave est brisée et que, pendant un instant, la flamme ardente et durable du Nord apparaît à découvert.

C'est ainsi que je la vis alors, et si je ne la vois point aujourd'hui, je ne suis ni assez vieux, ni assez sot pour croire qu'elle soit éteinte.

XIII -- LORD NELSON

Le rendez-vous entre Lord Nelson et mon père devait avoir lieu à une heure matinale, et il tenait d'autant plus à être exact qu'il savait combien les allées et venues de l'amiral seraient modifiées par les nouvelles que nous avions apprises, la veille au soir.

Je venais à peine de déjeuner et mon oncle n'avait pas sonné pour son chocolat, quand mon père vint me prendre à Jermyn Street.

Au bout de quelques centaines de pas dans Piccadilly, nous nous trouvâmes devant le grand bâtiment de briques déteintes qui servait de logement de ville aux Hamilton et qui devenait le quartier général de Lord Nelson lorsque affaires ou plaisirs le faisaient venir de Merton.

Un valet de pied répondit à notre coup de marteau et nous introduisit dans un grand salon au mobilier sombre, aux tentures de nuance triste.

Jim Harrison, boxeur Page 50

Arthur Conan Doyle

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