Qu'est-ce qu'on disait dans la flotte à ce propos?

-- Que c'était un signal indiquant qu'il ne ferait pas bon se mettre en travers de votre écubier.

-- Ils me connaissent, les coquins. Vous le voyez, jeune gentleman, il ne s'est pas perdu la moindre étincelle de l'ardeur que j'ai mise à servir mon pays. Il pourra arriver un jour, que vous arborerez votre propre pavillon et, quand ce jour viendra, vous vous souviendrez que le conseil que je donne à un officier, c'est qu'il ne fasse rien à moitié, par demi mesures. Mettez votre enjeu d'un seul coup, et si vous perdez sans qu'il y ait de votre faute, le pays vous confiera un autre enjeu de même valeur. Ne vous préoccupez pas de manoeuvres. Foin des manoeuvres! La seule dont vous ayez besoin, consiste à vous mettre bord à bord avec l'ennemi. Combattez jusqu'au bout et vous aurez toujours raison. N'ayez jamais une arrière pensée pour vos aises, pour votre propre vie, car votre vie ne vous appartient plus à partir du jour où vous avez endossé l'uniforme bleu. Elle appartient au pays et il faut la dépenser sans compter pour peu que le pays en retire le moindre avantage. Comment est le vent, ce matin, Stone?

-- Est, sud-est, dit mon père sans hésitation.

-- Alors, Cornwallis est sans doute en bon chemin pour Brest, quoique pour ma part, j'eusse préféré tâcher de les attirer au large.

-- C'est aussi ce que souhaiteraient tous les officiers et tous les hommes de la flotte, Votre Seigneurie, dit mon père.

-- Ils n'aiment pas le service de blocus, et cela n'est pas étonnant, puisqu'il ne rapporte ni argent, ni honneur. Vous vous rappelez comment cela se passait dans les mois d'hiver, devant Toulon, Stone, alors que nous n'avions à bord ni poudre, ni boeuf, ni vin, ni porc, ni farine, pas même des câbles, de la toile et du filin de réserve. Et nous consolidions nos vieux pontons avec des cordages. Dieu sait si je ne m'attendais pas à voir le premier Levantin venu couler nos vaisseaux. Mais, quand même nous n'avons pas lâché prise. Néanmoins, je crains que là-bas, nous n'ayons pas fait grand chose pour l'honneur de l'Angleterre. Chez nous, on illumine les fenêtres à la nouvelle d'une grande bataille, mais on ne comprend pas qu'il nous serait plus aisé de recommencer six fois la bataille du Nil que de rester en station tout l'hiver pour le blocus. Mais je prie Dieu qu'il nous fasse rencontrer cette nouvelle flotte ennemie, et que nous puissions en finir par une bataille corps à corps.

-- Puissé-je être avec vous, mylord! dit gravement mon père. Mais nous vous avons déjà pris trop de temps et je n'ai plus qu'à vous remercier de votre bonté et à vous offrir tous mes souhaits.

-- Bonjour, Stone, dit Nelson, vous aurez votre vaisseau et si je puis avoir ce jeune gentleman parmi mes officiers, ce sera chose faite. Mais si j'en crois son habillement, reprit-il en portant ses yeux sur moi, vous avez été mieux partagé pour la répartition des prises que la plupart de vos camarades. Pour ma part, jamais je n'ai songé, jamais je n'ai pu songer à gagner de l'argent.

Mon père expliqua que le fameux Sir Charles Tregellis était mon oncle, qu'il s'était chargé de moi et que je demeurais chez lui.

-- Alors, vous n'avez pas besoin que je vous vienne en aide, dit Nelson avec quelque amertume. Quand on a des guinées et des protections, on peut passer par-dessus la tête des vieux officiers de marine, fût-on incapable de distinguer la poupe d'avec la cuisine, ou une caronade d'avec une pièce longue de neuf. Néanmoins... Mais que diable se passe-t-il?

Le valet de pied s'était précipité soudain dans la chambre, mais il s'arrêta devant le regard de colère que lui lança l'amiral.

-- Votre Seigneurie m'a dit d'accourir chez vous dès que cela arriverait, expliqua-t-il en montrant une grande enveloppe bleue. -- Par le ciel! Ce sont mes ordres, s'écria Nelson en la saisissant vivement et faisant des efforts maladroits pour en rompre les cachets avec la main qui lui restait.

Lady Hamilton accourut à son aide, mais elle eut à peine jeté les yeux sur le papier, qui s'y trouvait, qu'elle jeta un cri perçant, porta la main à ses yeux et se laissa choir évanouie.

Mais je ne pus m'empêcher de reconnaître qu'elle se laissa choir fort habilement et que, malgré la perte de ses sens, elle eut la bonne fortune d'arranger fort habilement les plis de son costume et de prendre une attitude classique et gracieuse.

Quant à lui, l'honnête marin, il était si incapable de supercherie et d'affectation, qu'il ne les soupçonnait point chez autrui, aussi courut-il tout affolé à la sonnette, pour réclamer à grands cris domestiques, médecin, sels, en jetant des mots incohérents dans sa douleur, se répandant en paroles si passionnées, si émues, que mon père jugea plus discret de me tirer par la manche, comme pour m'avertir qu'il nous fallait sortir à la dérobée.

Nous le laissâmes donc dans ce sombre salon de Londres, perdant la tête tant il était ému de pitié pour cette femme superficielle qui n'avait rien de naturel, pendant que dehors, tout contre le chasse-roues, dans Piccadilly, l'attendait la haute berline noire prête à l'emporter pour ce long voyage qui allait aboutir à poursuivre la flotte française sur un parcours de sept mille milles a travers l'Océan, à la rencontrer enfin et à la vaincre.

Cette victoire devait limiter aux conquêtes continentales l'ambition de Napoléon, mais elle coûterait à notre grand marin la vie qu'il devait perdre au moment le plus glorieux de son existence, comme je souhaiterais qu'il vous advînt à tous.

XIV -- SUR LA ROUTE

Déjà approchait le jour de la grande bataille.

La guerre sur le point d'éclater et Napoléon qui devenait de plus en plus menaçant n'étaient que des objets de second ordre pour tous les sportsmen et en ce temps-là les sportsmen formaient bien la moitié de la population.

Dans le club patricien, dans la taverne plébéienne, dans le café que fréquentait le négociant, dans la caserne du soldat, à Londres et dans les provinces, la même question passionnait toute la nation.

Toutes les diligences qui arrivaient de l'Ouest apportaient des détails sur la belle condition de Wilson le Crabe, qui était retourné dans son pays natal pour s'entraîner et qu'on savait être sous la direction immédiate du capitaine Barclay, l'expert.

D'un autre côté, bien que mon oncle n'eût pas encore désigné son champion, personne dans le public ne doutait que ce ne fût Jim, et les renseignements qu'on avait sur son physique et sa performance lui valurent bon nombre de parieurs.

Toutefois, la côte était en faveur de Wilson et les gens de l'Ouest, comme un seul homme, tenaient pour lui, tandis qu’à Londres l'opinion était partagée.

Deux jours avant le combat, on donnait Wilson à trois contre deux, dans tous les clubs du West End.

J'étais allé deux fois voir Jim à Crawley, dans l'hôtel où il était installé pour son entraînement et je l'y trouvai soumis au sévère régime en usage. Depuis la pointe du jour jusqu'à la tombée de la nuit, il courait, sautait, frappait sur une vessie suspendue à une barre ou s'exerçait contre son formidable entraîneur.

Jim Harrison, boxeur Page 53

Arthur Conan Doyle

Scottish Authors

Free Books in the public domain from the Classic Literature Library ©

Sir Arthur Conan Doyle
Classic Literature Library
Classic Authors

All Pages of This Book