-- Je n'aime pas ces façons mystérieuses, dis-je, et mon père ne les aimerait pas davantage.

-- Votre père peut s'en expliquer lui-même, et il n'y a là rien de secret, dit-il d'un ton sec. C’est vous qui faites tout le secret avec vos imaginations. Ta! Ta! Ta! ces sottises m'impatientent.

Et sans me faire seulement un signe de tête, il me tourna le dos et d'un pas rapide se mit en route vers West Inch.

Je le suivis, et d'aussi mauvaise humeur que possible, car j'avais le pressentiment de quelque méfait qui se tramait, et cependant, je n'avais pas la moindre idée du monde de ce que cela pouvait être.

Et j'en revins s'en m'en apercevoir, à songer à tous les incidents mystérieux de l'arrivée de est homme, et de son long séjour au milieu de nous.

Mais qui donc pouvait-il attendre à la Tour d'alarme?

Ce personnage était-il un espion, qui avait un collègue en espionnage qui venait en cet endroit pour lui parler?

Mais cela était absurde.

Que pouvait bien venir espionner dans le Comté de Berwick?

Et d'ailleurs le Major Elliott savait parfaitement à quoi s'en tenir sur lui et ne lui eût pas témoigné autant de respect, s'il y avait eu quelque chose de suspect.

J'en étais arrivé à ce point-là, au cours de mes réflexions quand je m'entendis saluer par une voix joyeuse. C'était le major en personne, qui descendait la côte venant de chez lui, tenant en laisse son gros bulldog Bounder.

Ce chien était un animal des plus dangereux, et il avait causé maint accident aux environs, mais le major l'aimait beaucoup, et ne sortait jamais sans lui, tout en le tenant à l'attache au moyen d'une bonne et forte courroie.

Or, comme je regardais venir le major, et que j'attendais son arrivée, il buta de sa jambe blessée par-dessus une branche de genêt; en reprenant son équilibre, il lâcha la courroie et aussitôt voilà ce maudit animal parti à fond de train de mon côté, au bas de la côte.

Cela ne me plaisait guère, je vous en réponds, car je n’avais à ma portée ni un bâton, ni une pierre, et je savais cette bête dangereuse.

Le major l'appelait de là-haut par des cris perçant, mais je crois que l'animal prenait ce rappel pour une excitation; car il n'en courait que plus furieusement. Mais je connaissais son nom, et j'espérais que cela me vaudrait peut-être les égards dus à une vieille connaissance.

Aussi quand il fut presque sur moi, son poil hérissé, son nez enfoncé entre deux yeux rouges, je criai de toute la force de mes poumons:

-- Bounder! Bounder!

Cela produisit son effet, car l'animal me dépassa en grondant, et partit par le sentier sur les traces de Bonaventure de Lapp.

Celui-ci se retourna à tout ce bruit et parut comprendre au premier coup d'oeil de quoi il s'agissait; mais il continua à marcher sans plus se presser.

J'étais terrifié pour lui, car le chien ne l'avait jamais vu.

Je courus de toute la vitesse de mes jambes pour écarter de lui l'animal. Mais je ne sais comment, quand il bondit et qu'il aperçut le jeu de doigts que faisait de Lapp derrière son dos avec le pouce et l'index, sa furie tomba tout à coup, et nous le vîmes agitant son tronçon de queue, et lui caressant le genou avec sa patte.

-- C'est donc votre chien, major, dit-il à son maître, qui arrivait en boitant. Ah! c'est une belle bête, une belle, une jolie créature.

Le major était tout essoufflé, car il avait fait le trajet presque aussi vite que moi.

-- J'avais peur qu'il ne vous fit du mal, dit-il, tout haletant.

-- Ta! Ta! Ta! s'écria de Lapp, c'est un joli animal, bien doux. J'ai toujours aimé les chiens. Mais je suis content de vous avoir rencontré, major, car voici ce jeune gentleman, auquel je suis redevable de beaucoup, et qui commençait à me prendre pour un espion. N'est-ce pas vrai, Jock?

Je fus si abasourdi par ce langage que je ne trouvai pas un mot à répondre. Je me contentai de rougir et de détourner les yeux, de l'air gauche d'un campagnard que j'étais.

-- Vous me connaissez, major, dit de Lapp, et vous allez lui dire, j'en suis sûr, que c'est chose absolument impossible.

-- Non, non, Jock. Certainement non! certainement non, s'écria le major.

-- Merci, dit de Lapp, vous me connaissez et vous me rendez justice. Et vous-même? J'espère que votre genou va mieux, et qu’on vous redonnera bientôt votre régiment.

-- Je me porte assez bien, répondit le major, mais on ne me donnera jamais d'emploi à moins qu'il n'y ait une guerre, et il n'y aura plus de guerre de mon vivant.

-- Oh! vous croyez cela! dit de Lapp, avec un sourire. Eh bien, nous verrons, nous verrons, mon ami.

Il ôta son chapeau, puis faisant vivement demi-tour, il se dirigea d'un bon pas du côté de West Inch.

Le major resta à le suivre des yeux, l'air pensif.

Puis, il me demanda ce qui m'avait fait croire qu'il était un espion.

Quand je le lui eus dit, il ne répondit rien, hocha seulement la tête, et il avait alors l'air d'un homme qui n'a pas l'esprit bien tranquille.

VIII -- L'ARRIVÉE DU CUTTER

Depuis le petit incident de la Tour d'alarme, mes sentiments à l'égard de notre locataire n'étaient plus les mêmes.

La Grande Ombre Page 28

Arthur Conan Doyle

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