D'après les dernières nouvelles qui nous arrivèrent sur lui, il s'était rendu aux Anglais.
Les portes de Paris nous étaient ouvertes; c'étaient des nouvelles excellentes pour moi, car j'aimais autant m'en tenir à la seule bataille où je me fusse trouvé.
Mais il y avait alors à Paris, une foule de gens attachés à Boney.
C'était tout naturel, quand on songe à la gloire qu'il leur avait acquise, et qu'on se rappelle qu'il n'avait jamais demandé à son armée d'aller dans un endroit où il n'allât pas lui-même.
Ils nous firent assez mauvaise mine à notre entré, je puis vous le dire.
Nous autres, de la brigade d'Adams, nous fûmes les premiers qui mirent le pied dans la ville.
Nous passâmes sur un pont qui s'appelle Neuilly, mot plus facile à écrire qu'à prononcer; de là, on traversa un beau parc, le Bois de Boulogne, puis on alla aux Champs-Élysées, où l’on bivouaqua.
Bientôt il y eût, dans les rues, tant de Prussiens et d'Anglais, qu'on se serait cru dans un camp plutôt que dans une ville.
La première fois que je pus sortir, je partis avec Rob Stewart, de ma compagnie, car on ne nous permettait de circuler que par couples, et je me rendis dans la rue de Miromesnil.
Rob attendit dans le vestibule et, dès que je mis le pied sur le paillasson, je me trouvai en présence de ma cousine Edie, qui était toujours restée la même, et qui se mit à me contempler de ce regard sauvage qu'elle a.
Pendant un moment, elle ne me reconnut pas, mais quand elle le fit, elle s'avança de trois pas, courut à moi et me sauta au cou.
-- Oh! mon cher vieux Jock, s'écria-t-elle, comme vous êtes beau, sous l'habit rouge!
-- Oui, à présent, je suis soldat, Edie, répondis-je d'un ton fort raide, car en voyant sa jolie figure, je crus apercevoir, par derrière elle, l'autre figure qui était tournés vers le ciel, sur le champ de bataille de Belgique.
-- Qui l'aurait cru? s'écria-t-elle. Qu'êtes vous alors, Jock? Général? Capitaine?
-- Non, je suis simple soldat.
-- Comment, vous n’êtes pas, je l'espère, de ces gens du commun qui portant le fusil?
-- Si, je porte le fusil.
-- Oh! ce n'est pas, à beaucoup près, aussi intéressant, dit-elle en retournant s'asseoir sur le canapé qu'elle avait quitté.
C'était une chambre superbe, toute tendue de soie et de velours, pleine d'objets brillants, et j'étais sur le point de repartir pour donner à mes bottes un nouveau coup de brosse.
Quand Edie s'assit, je vis qu'elle était en grand deuil; cela me prouva qu'elle connaissait la mort de de Lissac.
-- Je suis content de voir que vous savez tout, dis-je, car je suis très maladroit pour annoncer avec ménagement les nouvelles. Il a dit que vous pouviez garder tout ce qu'il y avait dans les malles, et qu'Antoine avait les clefs.
-- Merci, Jock, merci, dit-elle, vous avez été bien bon de faire cette commission. J'ai appris l'événement il y a environ huit jours. J'en ai été folle quelque temps, tout à fait folle. Je porterai le deuil toute ma vie, quoique cela fasse de moi un véritable épouvantail, comme vous le voyez. Ah! je ne m'en remettrai jamais. Je prendrai le voile et je mourrai au couvent.
-- Pardon, Madame, dit une domestique en avançant la tête, le comte de Beton désire vous voir.
-- Mon cher Jock, dit Edie en se levant brusquement, voilà qui est très important. Je suis bien fâchée d'abréger notre entretien, mais vous reviendrez me voir, j'en sais sûre, n'est-ce pas? Je suis si désolée? Ah! est-ce qu'il vous serait égal de sortir par la porte de service et non par la grande porte? Je vous remercie, mon cher vieux Jock, vous avez toujours été si bon garçon, et vous faisiez exactement ce qu'on vous disait de faire.
C'était la dernière fois que je devais voir la cousine Edie.
Elle se montrait à la lumière du soleil avec son regard provocateur, de jadis, avec ses dents éclatantes.
Aussi je me la rappellerai toujours, brillante et mobile comme une goutte de mercure.
Lorsque je rejoignis mon camarade en bas dans la rue, je vis à la porte une belle voiture à deux chevaux; je devinai alors qu'elle m'avait prié de m'esquiver furtivement, pour que ses nouveaux amis du grand monde ne vissent jamais les gens du commun avec lesquels elle avait vécu dans son enfance.
Elle n'avait fait aucune question sur Jim, ni sur mon père et ma mère, qui avaient eu tant de bonté pour elle.
Bah! elle était ainsi faite, elle ne pouvait pas plus s'en dispenser qu'un lapin ne peut s'empêcher d'agiter son bout de queue; et pourtant, cette pensée me fit grand-peine.
Neuf mois après, j'appris qu'elle avait épousé ce même comte de Beton, et elle mourut en couches un an ou deux plus tard.
Quant à nous, notre tâche était accomplie.
La grande ombre avait été chassée de dessus l'Europe; elle ne viendrait plus s'allonger d'un bout à l'autre du pays, planant sur les fermes paisibles, les humbles villages, faisant les ténèbres dans des existences qui auraient été si heureuses.
Après avoir acheté ma libération, je revins à Corriemuir, où, après la mort de mon père, je pris la ferme.