Un jour qu’elle était sortie, John Thurston me fit jeter un coup d’oeil dans la chambre qu’elle habitait.

Elle avait là une quantité de bibelots hindous, qui prouvaient qu’elle était venue de son pays natal avec une ample cargaison.

Son amour d’Orientale pour les couleurs vives se manifestait d’une façon amusante.

Elle était allée à la ville où se tenait le marché, y avait acheté beaucoup de feuilles de papier rouge et bleu, qu’elle avait fixées au moyen d’épingles sur le revêtement de couleur sombre que jusqu’alors couvrait le mur.

Elle avait aussi du clinquant qu’elle avait réparti dans les endroits les plus en vue, et pourtant il semblait qu’il y ait quelque chose de touchant dans cet effort pour reproduire l’éclat des tropiques dans cette froide habitation anglaise.

Pendant les quelques premiers jours que j’avais passés à Dunkelthwaite, les singuliers rapports qui existaient entre miss Warrender et le secrétaire avaient simplement excité ma curiosité, mais après des semaines, et quand je me fus intéressé davantage à la belle Anglo-Indienne, un sentiment plus profond et plus personnel s’empara de moi.

Je me mis le cerveau à la torture pour deviner quel était le lien qui les unissait.

Comme se faisait-il que tout en montrant de la façon la plus évidente qu’elle ne voulait pas de sa société pendant le jour, elle se promenât seule avec lui, la nuit venue?

Il était possible que l’aversion qu’elle manifestait envers lui devant des tiers fût une ruse pour cacher ses véritables sentiments.

Une telle supposition amenait à lui attribuer une profondeur de dissimulation naturelle que semblait démentir la franchise de son regard, la netteté et la fierté de ses traits.

Et pourtant quelle autre hypothèse pouvait expliquer le pouvoir incontestable qu’il exerçait sur elle!

Cette influence perçait en bien des circonstances, mais il en usait d’une façon si tranquille, si dissimulée qu’il fallait une observation attentive pour s’apercevoir de sa réalité.

Je l’ai surpris lui lançant un regard si impérieux, même si menaçant, à ce qu’il me semblait, que le moment d’après, j’avais peine à croire que cette figure pâle et dépourvue d’expression fût capable d’en prendre une aussi marquée.

Lorsqu’il la regardait ainsi, elle se démenait, elle frissonnait comme si elle avait éprouvé de la souffrance physique.

«Décidément, me dis-je, c’est de la crainte et non de l’amour, qui produit de tels effets.»

Cette question m’intéressa tant, que j’en parlai à mon ami John.

Il était, à ce moment-là, dans son petit laboratoire, abîmé dans une série de manipulations, de distillations qui devaient aboutir à la production d’un gaz fétide, et nous faire tousser en nous prenant à la gorge.

Je profitai de la circonstance qui nous obligeait à respirer le grand air, pour l’interroger sur quelques points sur lesquels je désirais être renseigné.

-- Depuis combien de temps disiez-vous que miss Warrender se trouve chez votre oncle? demandai-je.

John me jeta un regard narquois et agita son doigt taché d’acide.

-- Il me semble que vous vous intéressez bien singulièrement à la fille du défunt et regretté Achmet Genghis, dit-il.

-- Comment s’en empêcher? répondis-je franchement. Je lui trouve un des types les plus romanesques que j’aie jamais rencontrés.

-- Méfiez-vous de ces études-là, mon garçon, dit John d’un ton paternel. C’est une occupation qui ne vaut rien à la veille d’un examen.

-- Ne faites pas le nigaud, répliquai-je. Le premier venu pourrait croire que je suis amoureux de miss Warrender, à vous entendre parler ainsi. Je la regarde comme un problème intéressant de psychologie, voilà tout.

-- C’est bien cela, un problème intéressant de psychologie, voilà tout.

Il me semblait que John devait avoir encore autour de lui quelques vapeurs de ce gaz, car ses façons étaient réellement irritantes.

-- Pour en revenir à ma première question, dis-je, depuis combien de temps est-elle ici?

-- Environ dix semaines.

-- Et Copperthorne?

-- Plus de deux ans.

-- Avez-vous quelque idée qu’ils se soient déjà connus?

-- C’est impossible, déclara nettement John. Elle venait d’Allemagne. J’ai vu la lettre où le vieux négociant donnait des indications sur sa vie passée. Copperthorne est toujours resté dans le Yorkshire, en dehors de ses deux ans de Cambridge. Il a dû quitter l’Université dans des conditions peu favorables.

-- En quel sens?

-- Sais pas, répondit John. On a tenu la chose sous clef. Je m’imagine que l’oncle Jérémie le sait. Il a la marotte de ramasser des déclassés et de leur refaire ce qu’il appelle une nouvelle vie. Un de ces jours, il lui arrivera quelque mésaventure avec un type de cette sorte.

-- Aussi donc Copperthorne et miss Warrender étaient absolument étrangers l’un à l’autre il y a quelques semaines?

-- Absolument. Maintenant je crois que je ferai bien de rentrer et d’analyser le précipité.

-- Laissez là votre précipité, m’écriai-je en le retenant. Il y a d’autres choses dont j’ai à vous parler. S’ils ne se connaissent que depuis quelques semaines, comment a-t-il fait pour acquérir le pouvoir qu’il exerce sur elle?

John me regarda d’un air ébahi.

Nouveaux Mystères et Aventures Page 09

Arthur Conan Doyle

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