Se me jurais intérieurement qu’on ne lui ferait aucun mal tant que je serais en état de l’empêcher.
Le jour s’écoula long, ennuyeux.
Il me fut impossible de m’absorber dans mon travail, aussi me mis- je à errer sans trêve par les corridors de la vieille bâtisse et par le jardin.
Copperthorne était en haut avec l’oncle Jérémie, et je le vis peu.
Deux fois, pendant que je me promenais dehors à grands pas, je vis la gouvernante venant de mon côté avec les enfants, et chaque fois je m’écartai promptement pour l’éviter.
Je sentais que je ne pourrais lui parler sans laisser voir l’horreur indicible qu’elle m’inspirait et sans lui montrer que j’étais au courant de ce qui s’était passé la nuit d’avant.
Elle remarqua que je l’évitais, car, au déjeuner, mes yeux s’étant un instant portés sur elle, je vis dans les siens un éclair de surprise et de colère, auquel néanmoins je ne ripostai pas.
Le courrier du jour apporta une lettre de John où il m’informait qu’il était descendu à l’hôtel Langham.
Je savais qu’il était désormais impossible de recourir à lui pour partager avec lui la responsabilité de tout ce qui pourrait arriver.
Cependant, je crus de mon devoir de lui envoyer une dépêche pour lui apprendre que sa présence serait désirable.
Cela nécessitait une longue course pour aller jusqu’à la gare, mais cette course aurait l’avantage de m’aider à tuer le temps, et je me sentis soulagé d’un poids en entendant le grincement des aiguilles, qui m’apprenait que mon message volait à mon but.
À mon retour d’Ingleton, quand je fus arrivé à l’entrée de l’avenue, je trouvai notre vieux domestique Élie debout en cet endroit, et il avait l’air très en colère.
-- On dit qu’un rat en amène d’autres, me dit-il en soulevant son chapeau. Il paraît qu’il en est de même avec les noirauds.
Il avait toujours détesté la gouvernante à cause de ce qu’il appelait ses grands airs.
-- Eh bien, qu’est-ce qu’il y a? demandai-je.
-- C’est un de ces étrangers qui reste toujours par là à se cacher et à rôder, répondit le bonhomme. Je l’ai vu ici parmi les broussailles et je l’ai fait partir en lui disant ma façon de penser. Est-ce qu’il regarde du côté des poules? Ça se peut. Ou bien a-t-il envie de mettre le feu à la maison et de nous assassiner tous dans nos lits? Je vais descendre au village, M. Lawrence, et je m’informerai à son sujet.
Et il s’en alla en donnant libre cours à sa sénile colère.
Le petit incident fit sur moi une vive impression, et j’y songeai beaucoup en suivant la longue avenue.
Il était clair que l’Hindou voyageur tournait toujours autour de la maison.
C’était un élément que j’avais oublié de faire entrer en ligne de compte.
Si sa compatriote l’enrôlait comme complice dans ses plans ténébreux, il pourrait bien arriver qu’à eux trois ils fussent trop forts pour moi.
Toutefois, il me semblait improbable qu’elle agît ainsi, puisqu’elle avait pris tant de peine pour que Copperthorne ne sût rien de la présence de l’Hindou.
J’eus un instant l’idée de prendre Élie pour confident, mais en y réfléchissant j’arrivai à conclure qu’un homme de son âge serait plutôt un embarras qu’un auxiliaire.
Vers sept heures, comme je montais dans ma chambre, je rencontrai Copperthorne qui me demanda si je pouvais lui dire où était miss Warrender.
Je répondis que je ne l’avais pas vue.
-- C’est bien singulier, dit-il, que personne ne l’ait vue depuis le dîner. Les enfants ne savent pas où elle est. J’ai à lui dire quelque chose en particulier.
Il s’éloigna, sans la moindre expression d’agitation et de trouble sur sa physionomie.
Pour moi, l’absence de miss Warrender n’était pas faite pour me surprendre.
Sans aucun doute, elle était quelque part dans les massifs, se montant la tête pour la terrible besogne qu’elle avait entrepris d’exécuter.
Je fermai la porte sur moi, et m’assis, un livre à la main, mais l’esprit trop agité pour en comprendre le contenu.
Mon plan de campagne était déjà construit.
J’avais résolu de me tenir en vue de leur lieu de rendez-vous, de les suivre, et d’intervenir au moment où mon intervention serait le plus efficace.
Je m’étais pourvu d’un gourdin solide, noueux, cher à mon coeur d’étudiant, et grâce auquel j’étais sûr de rester maître de la situation.
Je m’étais, en effet, assuré que Copperthorne n’avait pas d’armes à feu.
Je ne me rappelle aucune époque de ma vie où les heures m’aient paru si longues, que celles que je passai, ce jour-là, dans ma chambre.
J’entendais au loin le son adouci de l’horloge de Dunkelthwaite qui marqua huit heures, puis neuf, puis, après un silence interminable, dix heures.
Ensuite, comme j’allais et venais dans ma chambrette, il me sembla que le temps eût suspendu complètement son cours, tant j’attendais l’heure avec crainte et aussi avec impatience, ainsi qu’on le fait quand on doit affronter quelque grave épreuve.
Néanmoins tout a une fin, et j’entendis, à travers l’air calme de la nuit, le premier coup argentin qui annonçait la onzième heure.
Alors je me levai, me chaussai de pantoufles en feutre, pris ma trique et me glissai sans bruit hors de ma chambre pour descendre par le vieil escalier grinçant.