Je courus vers le secrétaire et lui soulevai la tête.

Sa figure était pourpre et horriblement contorsionnée.

J’ouvris son col de chemise. Je fis de mon mieux pour le rappeler à la vie. Tout fut inutile.

Le roomal avait fait sa besogne; l’homme était mort.

Je n’ai plus que quelques détails à ajouter à mon étrange récit.

Peut-être ai-je été un peu prolixe dans ma narration, mais je sens que je n’ai point à m’en excuser, car je me suis borné à dire la suite des incidents dans leur ordre, d’une manière simple, dépourvue de toute prétention, et le récit eût été incomplet si j’en avais omis un seul.

On sut par la suite que miss Warrender était partie par le train de sept heures vingt minutes pour Londres, et qu’elle avait gagné la capitale assez à temps pour y être en sûreté, avant qu’on pût commencer des recherches pour la retrouver.

Quant au messager de mort qu’elle avait laissé derrière elle pour prendre sa place au lieu du rendez-vous, on n’entendit plus parler de lui. On ne le revit plus.

On lança son signalement dans tout le pays, mais ce fut peine perdue.

Sans doute le fugitif passait le jour dans une retraite sûre, et employait la nuit à voyager, en se nourrissant de débris, comme un Oriental peut le faire, jusqu’à ce qu’il fût hors de danger.

John Thurston revint le lendemain, et il fut stupéfait quand je lui fis part de l’aventure.

Il fut d’accord avec moi pour reconnaître qu’il valait mieux ne rien dire de ce que je savais sur les projets de Copperthorne et des raisons qui l’auraient obligé à s’attarder si longtemps au dehors pendant cette nuit d’été.

Aussi la police du comté elle-même n’a jamais su complètement l’histoire de cette extraordinaire tragédie et elle ne la saura certainement jamais, à moins que le hasard ne fasse tomber ce récit sous les yeux d’un de ses membres.

Le pauvre oncle Jérémie se lamenta sur la perte de son secrétaire, et pondit des quantités de vers sous forme d’épitaphes et des poèmes commémoratifs.

Il a été depuis réuni à ses pères, et je suis heureux de pouvoir dire que la majeure partie de sa fortune a passé à son héritier légitime, à son neveu.

Il n’y a qu’un point sur lequel je désirerais faire une remarque.

Comment le Thug voyageur était-il arrivé à Dunkelthwaite?

Cette question-là n’a jamais été éclaircie, mais je n’ai pas dans l’esprit le moindre doute à ce sujet, et je suis certain que quand on pose les circonstances, on admettra, comme moi, que son apparition ne fut point un effet du hasard.

Cette secte formait dans l’Inde un corps nombreux et pressant, et quand elle songea à se choisir un nouveau chef, elle se rappela tout naturellement la fille si belle de son ancien maître.

Il ne devait pas être malaisé de retrouver sa trace à Calcutta, en Allemagne et, finalement, à Dunkelthwaite.

Il était sans doute venu l’informer qu’elle n’était pas oubliée dans l’Inde, et qu’elle serait accueillie avec le plus grand empressement si elle jugeait bon de venir retrouver les débris épars de sa tribu.

On pourra juger cette supposition un peu forcée mais c’est la manière de voir qui a toujours été la mienne en cette affaire.

Chapitre VII

J’ai commencé ce récit par la copie d’une lettre; je le finirai de même.

Celle-ci me vint d’un vieil ami, le Docteur B. C. Haller, homme de science encyclopédique et particulièrement au fait des moeurs et coutumes de l’Inde.

C’est grâce à sa complaisance que je suis en état de transcrire les divers mots indigènes que j’ai entendu de temps à autre prononcer par miss Warrender, et que je n’aurais pas été capable de retrouver dans ma mémoire, s’il ne me les avait rappelés.

Dans sa lettre, il fait des commentaires sur le sujet que je lui avais exposé quelque temps auparavant au cours d’une conversation.

«Mon cher Lawrence,

«Je vous ai promis de vous écrire au sujet du Thuggisme, mais mon temps a été tellement pris que c’est seulement aujourd’hui que je puis tenir mon engagement.

«J’ai été fort intéressé par votre extraordinaire aventure et j’aurais grand plaisir à causer encore de ce sujet avec vous.

«Je puis vous apprendre qu’il est extrêmement rare qu’une femme soit initiée aux mystères du Thuggisme, et dans le cas qui vous concerne, cela a pu arriver parce qu’elle avait goûté, soit par hasard, soit à dessein, le goor sacré, qui est le sacrifice offert par la bande après chaque assassinat.

«Quiconque a fait cela peut devenir un membre actif du Thuggisme, quels que soient son rang, son sexe et son état.

«Comme elle était de sang noble, elle a dû franchir rapidement les divers grades, celui de Tuhaee, ou éclaireur, celui de Lughaee, ou fossoyeur, celui de Shumshaee, qui maintient les mains de la victime, et finalement celui de Bhuttotee, ou étrangleur.

«En tout cela, elle aurait reçu les leçons de son gourou, ou conseiller spirituel, qu’elle indique dans votre récit comme son propre père, qui fut un Borka ou Thug accompli.

«Une fois qu’elle eût atteint ce degré, je ne m’étonne pas qu’elle eût eu de temps en temps des accès de fanatisme instinctif.

Nouveaux Mystères et Aventures Page 20

Arthur Conan Doyle

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