Il y avait six brigands en tout.

L’un d’eux, qui paraissait être le chef, marchait en avant.

Les autres venaient derrière, formant un groupe.

Arrivés devant la maison, ils mirent leurs chevaux à l’attache à un petit arbre, après quelques mots dits à voix basse par leur capitaine, et, s’avancèrent avec assurance vers la porte.

Le patron Morgan et Abe étaient accroupis dans l’ombre de la haie, tout au bout de l’allée.

Ils étaient invisibles pour les bandits, qui évidemment s’attendaient à ne rencontrer qu’une faible résistance dans cette maison isolée.

Comme l’homme de tête, qui s’était avancé, se tournait à moitié pour donner un ordre à ses camarades, les deux amis reconnurent le profil dur et la grosse moustache de Ferguson le Noir, le prétendant refusé par miss Carrie Sinclair.

L’honnête Abe jura mentalement que celui-là du moins n’arriverait pas vivant jusqu’à la porte.

Le bandit s’avança jusqu’à cette porte et mit la main sur le loquet.

Il sursauta en entendant une voix de stentor crier: «Arrière» du milieu des buissons.

En guerre, comme en amour, le mineur était homme peu bavard.

-- On ne passe pas par ici, expliqua une autre voix au timbre d’une tristesse et d’une douceur infinie, ainsi qu’elle l’était toujours quand son possesseur avait le diable dans le corps.

Le coureur de la Brousse reconnut cette voix: il se rappelait l’allocution prononcée d’une voix molle et languissante qu’il avait entendue dans la salle de billard des Armes de Buckhurst, allocution qui s’était terminée comme suit.

Le doux orateur s’était adossé à la porte, avait sorti un révolver et avait demandé à voir le filou qui aurait l’audace de se frayer un passage.

-- C’est ce maudit imbécile de Durton, et son ami à la face blanche, dit-il.

Ces deux noms étaient fort connus à la ronde.

Mais les coureurs de la Brousse étaient des hommes téméraires et décidés à tout.

Ils avancèrent en masse jusqu’à la porte.

-- Débarrassez le passage, dit leur chef d’un ton farouche, à demi-voix, vous ne pouvez sauver la demoiselle. Allez-vous en sans une balle dans la peau, puisqu’on vous en laisse la chance.

Les associés répondirent par leur rire.

-- Alors au diable! avancez.

La porte s’ouvrit largement et la troupe tira une salve tout en poussant et fit un effort énergique pour pénétrer dans l’allée sablée.

Les revolvers firent un bruit joyeux dans le silence de la nuit entre les buissons, à l’autre bout.

Il était malaisé de tirer avec justesse dans les ténèbres.

Le second homme fit un bond convulsif en l’air et tomba la face en avant, les bras étendus. Il se tordit affreusement au clair de lune.

Le troisième fut touché à la jambe et s’arrêta.

Les autres en firent autant, par esprit d’imitation.

Après tout, la demoiselle n’était pas pour eux et ils mettaient peu d’entrain à la besogne.

Leur capitaine s’élança furieusement en avant, comme un courageux bandit qu’il était, mais il fut accueilli par un coup formidable que lui porta Abe, avec la crosse de son pistolet, coup lancé avec une telle violence qu’il recula en chancelant parmi ses compagnons, le sang ruisselant de sa mâchoire brisée, mis hors d’état de lancer un juron au moment même où il en sentait le besoin le plus urgent.

-- Ne partez pas encore, dit la voix partant des ténèbres.

Mais ils n’avaient nullement l’intention de partir tout de suite.

Quelques minutes devaient s’écouler, ils le savaient, avant qu’ils eussent sur eux les gens de l’Écluse de Harvey.

Ils avaient encore le temps d’enfoncer la porte s’ils pouvaient venir à bout des défenseurs.

Ce que redoutait Abe se réalisa.

Ferguson le Noir connaissait la maison aussi bien que lui.

Il courut de toute sa vitesse le long de la haie. Les cinq hommes s’y frayaient passage à grand bruit partout où il paraissait y avoir une ouverture.

Les deux amis échangèrent un regard.

Leur flanc était tourné. Ils restèrent là, pareils à des gens qui connaissent le sort qui les attend et ne craignent pas de l’affronter.

Il y eut une mêlée furieuse de corps noirs au clair de lune, pendant qu’éclatait un cri sonore d’encouragement lancé par des voix connues.

Les farceurs de l’Écluse de Harvey se trouvaient en présence d’une situation bien plus extraordinaire que la mystification à laquelle ils venaient assister.

Les associés virent près d’eux des figures amies, Shamees, Struggles, Mac Coy.

Il y eut une reprise désespérée, un corps à corps décisif, un nuage de fumée d’où partaient des coups de feu, des jurons farouches et, quand il se dissipa, on vit une ombre noire s’enfuir toute seule pour sauver sa vie, en franchissant l’ouverture de la haie.

C’était le seul des coureurs de la Brousse qui fût resté debout.

Mais les vainqueurs ne jetèrent aucun cri de triomphe.

Un silence étrange régna parmi eux, suivi d’un murmure compatissant, car en travers du seuil qu’il avait défendu si vaillamment, gisait le pauvre Abe, l’homme au coeur loyal et simple.

Il respirait péniblement, car une balle lui avait traversé les poumons.

Nouveaux Mystères et Aventures Page 34

Arthur Conan Doyle

Scottish Authors

Free Books in the public domain from the Classic Literature Library ©

Sir Arthur Conan Doyle
Classic Literature Library
Classic Authors

All Pages of This Book