Les deux coupables se doutaient évidemment pourquoi on les réclamait, car ils se précipitaient sous les meules de foin, ou par dessus les cages au point qu’on eût cru avoir affaire à une demi-douzaine au moins de poules à crête et de coqs Bantam, jouant à cache-cache dans la cour.
Les autres poules avaient l’air de s’intéresser sans vacarme aux événements et se contentaient de lancer de temps à autre un gloussement moqueur.
Toutefois, il n’en était pas de même de l’épouse favorite du Bantam.
Elle nous injuriait positivement du haut de son perchoir.
Les canards formaient la partie la plus indisciplinable de cette réunion, car bien qu’ils n’eussent rien à voir dans les débuts de ce désordre, ils témoignaient vivement leur intérêt pour les fuyards, couraient après eux de toute la vitesse de leurs courtes pattes jaunes et embarrassaient les pas des poursuivants.
-- Nous la tenons, criai-je toute haletante, quand la poule à crête fut cernée dans un angle. Attrapez-la, master Cronin. Ah! vous l’avez manquée! Vous l’avez manquée! Arrêtez-la, Sol. Oh! mon Dieu! Elle arrive de mon côté.
-- C’est très bien, miss Montague, s’écria master Cronin, pendant que j’attrapais par les pattes la malheureuse volatile et que je me disposais à la mettre sous mon bras pour l’empêcher de reprendre la fuite. Permettez-moi de vous la tenir.
-- Non, non, je vous prie d’attraper le coq. Le voilà! Tenez, là, derrière la meule de foin! Passez d’un côté, je passe de l’autre.
-- Il s’en va par la grande porte, cria Sol.
-- Chou! criai-je à mon tour, Chou! Oh! il est parti.
Et nous nous élançâmes tous deux dans le parc pour l’y poursuivre.
On tourna l’angle, on passa dans l’avenue, où je me trouvai face à face avec un jeune homme à figure très halée, en complet à carreaux, qui se dirigeait vers la maison, en flânant.
Il n’y avait pas à se méprendre avec ces yeux gris et rieur.
Lors même que je ne l’aurais pas regardé, un instinct, j’en suis sûre, m’aurait dit que c’était Jack.
M’était-il possible d’avoir un air digne, avec la poule à crête fourrée sous mon bras?
Je fis un effort pour me redresser, mais le gredin d’oiseau semblait se douter qu’il avait enfin trouvé un protecteur, car il se mit à piauler avec un redoublement de violence.
Dans mon désespoir, je la lâchai et j’éclatai de rire.
Jack en fit autant.
-- Comment ça va-t-il, Nell? dit-il en me tendant la main.
Puis, d’une voix qui marquait l’étonnement:
-- Tiens, vous n’êtes plus du tout comme quand je vous ai vue pour la dernière fois.
-- Ah! alors je n’avais pas une poule sous le bras, dis-je.
-- Qui aurait cru que la petite Nelly serait jamais devenue une femme? dit Jack tout entier encore à sa stupéfaction.
-- Vous ne vous attendiez pas à ce que je devienne un homme en grandissant, n’est-ce pas? dis-je avec une profonde indignation.
Et alors, renonçant brusquement à toute réserve:
-- Nous sommes rudement contents de votre arrivée, Jack. Ne vous pressez pas tant d’aller à la maison. Venez nous aider à attraper le coq bantam.
-- Vous avez bien raison, dit Jack avec sa voix si gaie d’autrefois. Allons!
Et nous voici tous les trois à courir comme des fous, à travers le parc, pendant que le pauvre Sol s’empressait à notre aide, embarrassé à l’arrière-garde avec les ciseaux et la prisonnière.
Jack avait son costume très froissé pour un homme en visite, quand il présenta ses respects à maman dans l’après-midi, et mes rêves de dignité et de réserve étaient dispersés à tous les vents.
Chapitre IV
Ce mois de mai, nous eûmes à Hatherley House une véritable troupe.
C’était Bob, et Sol, et Jack Hawthorne, et master Nicolas Cronin. C’était, d’autre part, miss Maberly, et Elsie, et maman, et moi.
En cas de nécessité, nous pouvions recruter dans les résidences des environs une demi-douzaine d’invités, de manière à pouvoir former un auditoire quand on produisait des charades ou des pièces, de notre cru.
Master Nicolas Cronin, jeune étudiant d’Oxford, adonné aux sports et plein de complaisance, fut, de l’avis de tous, une acquisition utile, car il était doué d’un étonnant talent pour l’organisation et l’exécution.
Jack ne montrait pas, tant s’en faut, autant d’entrain qu’autrefois.
En fait, nous fûmes unanimes à l’accuser d’être amoureux, ce qui lui fit prendre cet air nigaud qu’ont les jeunes gens en pareille circonstance, mais il n’essaya point de se disculper de cette charmante imputation.
-- Qu’allons-nous faire aujourd’hui? dit un matin Bob. Quelqu’un de vous a-t-il une idée?
-- Vider l’étang, dit master Cronin.
-- Nous n’avons pas assez d’hommes, dit Bob. Passons à autre chose.
-- Il faut organiser une cagnotte pour le Derby, dit Jack.
-- Oh! on a du temps de reste pour cela: les courses n’auront lieu que dans la seconde semaine. Voyons, autre chose?
-- Le Lawn-tennis, suggéra Sol, avec hésitation.
-- Du Lawn-tennis, il n’en faut pas.
-- Vous pourriez organiser une dînette à l’Abbaye d’Hatherley, dis-je.
-- Superbe, s’écria masser M.