Le lieutenant Hawthorne, ou Jack, comme je ne puis m’empêcher de l’appeler, avait été fort tranquille depuis la partie de campagne, et il s’était adonné à la rêverie.
Or, le hasard voulut que master Salomon Barker vînt au fumoir après le lunch, le jour de la cagnotte, et qu’il y trouvât le lieutenant assis et faisant de la fumée, pour distraire sa grandeur solitaire.
Battre en retraite eût paru une lâcheté.
Aussi l’étudiant s’assit-il sans mot dire et se mit à feuilleter le Graphic.
Les deux nivaux trouvaient la situation également embarrassante.
Ils avaient pris l’habitude de mettre le plus grand soin à s’éviter et maintenant ils se trouvaient brusquement mis face à face, sans qu’un tiers fût là pour jouer le rôle de tampon.
Le silence finissait par devenir pénible.
Le lieutenant bâilla, toussa avec une nonchalance mal jouée et continua à examiner d’un air sombre le journal qu’il tenait.
Le tic-tac de la pendule, le choc des billes qui arrivait de l’autre côté du corridor, où se trouvait la salle de billard, prenaient une intensité et une monotonie qui, à la longue, devenaient insupportables.
Sol leva les yeux une fois, mais il rencontra les yeux de son compagnon, qui venait de faire exactement la même chose.
Les deux jeunes gens se donnèrent aussitôt l’air de s’intéresser profondément, exclusivement aux dessins du plafond.
«Pourquoi me quereller avec lui? pensait Sol à part lui. Après tout, je ne demande qu’à jouer à chances égales. Probablement je serai mal accueilli, mais je ne risque rien à lui offrir une entrée en conversation.
Le cigare de Sol s’était éteint: l’occasion était trop favorable pour la laisser passer.
-- Auriez-vous l’obligeance de me donner une allumette, Lieutenant? demanda-t-il.
Le lieutenant était désolé, extrêmement désolé, mais n’avait pas la moindre allumette.
C’était un mauvais début.
La politesse glaciale vous tient plus à distance que la grossièreté proprement dite. Mais master Salomon Barker, comme la plupart des gens timides, était l’audace même, dès que la glace avait été rompue.
Il ne voulait plus de ces coups d’épingle, de ces malentendus; le moment était venu des mesures définitives.
Il poussa son fauteuil jusqu’au milieu de la chambre et se planta en face du militaire étonné.
-- Vous faites la cour à miss Nelly Montague, dit-il.
Jack se leva de son canapé aussi promptement que si le taureau du fermier Brown était entré par la fenêtre.
-- Et si je la fais, dit-il en tortillant sa moustache roussie, que diable cela peut-il vous faire?
-- Ne vous emportez pas, dit Sol, rasseyez-vous; et causons de l’affaire en gens raisonnables. Je l’aime, moi aussi.
-- Où diable cet individu veut-il en venir? se demanda Jack en se ressayant, et tout fumant encore de la récente explosion.
-- En un mot comme en cent, le fait est que nous l’aimons tous les deux, reprit Sol en soulignant sa remarque d’un mouvement de son doigt osseux.
-- Et après? dit le lieutenant, donnant quelques indices d’une rechute. Je suppose que le plus favorisé l’emportera, et que la jeune personne est parfaitement en état de faire elle-même son choix. Vous ne vous attendez pas, n’est-ce pas, à ce que je me retire de la course, uniquement parce que vous tenez à gagner le prix?
-- C’est bien cela, s’écria Sol, il faudra que l’un de nous deux se retire. Vous avez émis la bonne idée. Vous voyez, Nelly, miss Montague veux-je dire, vous aime mieux que moi, autant que je puis voir, mais elle m’aime encore assez pour ne pas vouloir m’affliger par un refus formel.
-- L’honnêteté m’oblige à reconnaître, dit Jack d’un ton plus conciliant que celui donc il avait parlé jusqu’alors, que Nelly, miss Montague, veux-je dire, vous aime mieux que moi, mais que, néanmoins, elle m’aime encore assez pour ne pas préférer mon rival ouvertement, en ma présence.
-- Je ne suis pas de votre avis, dit l’étudiant. À vrai dire, je crois que vous vous trompez, car elle me l’a dit en propres termes. Toutefois, ce que vous dites nous permettra d’arriver plus facilement à nous entendre. Il est parfaitement évident que tant que nous nous montrerons également amoureux d’elle, aucun de nous deux ne peut avoir le moindre espoir de faire sa conquête.
-- Il y a quelque bon sens dans cela, dit le lieutenant, d’un air réfléchi, mais que proposez-vous?
-- Je propose que l’un de nous se retire, pour employer votre expression. Il n’y a pas d’autre alternative.
-- Mais qui devra se retirer? demanda Jack.
-- Ah! voilà la question.
-- Je puis alléguer que je la connais depuis plus longtemps.
-- Je puis alléguer que j’ai été le premier à l’aimer.
L’affaire semblait arrivée à un point mort. Ni l’un ni l’autre des jeunes gens n’était, si peu que ce fût, disposé à abdiquer en faveur de son rival.
-- Voyons, dit l’étudiant, si nous tirions au sort.
Cela paraissait équitable, tous deux en tombèrent d’accord. Mais il surgit une nouvelle difficulté.
Tous deux éprouvaient une répugnance sentimentale à risquer l’ange de leu