-- Combien faut-il par an à un jeune homme, demanda mon père, pour s'habiller?

-- Avec de la prudence et des soins, bien entendu, un jeune homme à la mode peut y suffire avec huit cents livres par an, répondit mon oncle.

Je vis la figure de mon pauvre père s'allonger.

-- Je crains, monsieur, dit-il, que Roddy soit obligé de garder ses habits faits à la campagne. Même avec l'argent de mes parts de prise...

-- Bah! bah! s'écria mon oncle, je dois déjà à Weston un peu plus d'un millier de livres. Qu'est-ce que peuvent y faire quelques centaines de plus? Si mon neveu vient avec moi, c'est à moi à m'occuper de lui. C'est une affaire entendue et je dois me refuser à toute discussion sur ce point.

Et il agita ses mains blanches, comme pour dissiper toute opposition. Mes parents voulurent lui adresser quelques remerciements, mais il y coupa court.

-- À propos, puisque me voici à Friar's Oak, il y a une autre petite affaire que j'aurais à terminer, dit-il. Il y a ici, je crois, un lutteur nommé Harrison, qui aurait, à une certaine époque, été capable de détenir le championnat. En ce temps-là, le pauvre Avon et moi, nous étions ses soutiens ordinaires. Je serais enchanté de pouvoir lui dire un mot.

Vous pouvez penser combien je fus fier de traverser la rue du village avec mon superbe parent et de remarquer du coin de l'oeil comme les gens se mettaient aux portes et aux fenêtres pour nous regarder.

Le champion Harrison était debout devant sa forge et il ôta son bonnet en voyant mon oncle entrer.

-- Que Dieu me bénisse, monsieur! Qui se serait attendu à vous voir à Friar's Oak? Ah! sir Charles, combien de souvenirs passés votre vue fait renaître!

-- Je suis content de vous retrouver en bonne forme, Harrison, dit mon oncle en l'examinant des pieds à la tête. Eh! Avec une semaine d'entraînement vous redeviendriez aussi bon qu'avant. Je suppose que vous ne pesez pas plus de deux cents à deux cent vingt livres?

-- Deux cent dix, sir Charles. Je suis dans la quarantaine; mais les poumons et les membres sont en parfait état et si ma bonne femme me déliait de ma promesse, je ne serais pas longtemps à me mesurer avec les jeunes. Il parait qu'on a fait venir dernièrement de Bristol des sujets merveilleux.

-- Oui, le jaune de Bristol a été la couleur gagnante depuis peu. Comment allez-vous, mistress Harrison? Vous ne vous souvenez pas de moi, je pense?

Elle était sortie de la maison et je remarquai que sa figure flétrie -- sur laquelle une scène terrifiante de jadis avait dû imprimer sa marque -- prenait une expression dure, farouche, en regardant mon oncle.

-- Je ne me souviens que trop bien de vous, sir Charles Tregellis, dit-elle. Vous n'êtes pas venu, j'espère, aujourd'hui pour tenter de ramener mon mari dans la voie qu'il a abandonnée.

-- Voilà comment elle est, sir Charles, dit Harrison en posant sa large main sur l'épaule de la femme. Elle a obtenu ma promesse et elle la garde. Jamais il n'y eut meilleure épouse et plus laborieuse, mais elle n'est pas, comme vous diriez, une personne propre à encourager les sports. Ça, c'est un fait.

-- Sport! s'écria la femme avec âpreté. C'est un charmant sport pour vous, sir Charles, qui faites agréablement vos vingt milles en voiture à travers champs avec votre panier à déjeuner et vos vins, pour retourner gaiement à Londres, à la fraîcheur du soir, avec une bataille savamment livrée comme sujet de conversation. Songez à ce que fut pour moi ce sport, quand je restais de longues heures immobile, à écouter le bruit des roues de la chaise qui me ramènerait mon mari. Certains jours, il rentrait de lui-même. À certains autres, on l'aidait à rentrer, ou bien on le transportait, et c'était uniquement grâce à ses habits que je le reconnaissais.

-- Allons, ma femme, dit Harrison, en lui tapotant amicalement sur l'épaule. J'ai été parfois mal arrangé en mon temps, mais cela n'a jamais, été aussi grave que cela.

-- Et passer ensuite des semaines et des semaines avec la crainte que le premier coup frappé à la porte, soit pour annoncer que l'autre est mort, que mon mari sera amené à la barre et jugé pour meurtre.

-- Non, elle n'a pas une goutte de sportsman dans les veines, dit Harrison. Elle ne sera jamais une protectrice du sport. C'est l'affaire de Baruch le noir qui l'a rendue telle, quand nous pensions qu'il avait écopé une fois de trop. Oui, mais elle a ma parole, et jamais je ne jetterai mon chapeau par-dessus les cordes tant qu'elle ne me l'aura pas permis.

-- Vous garderez votre chapeau sur votre tête, comme un honnête homme qui craint Dieu, John, dit sa femme en rentrant dans la maison.

-- Pour rien au monde, je ne voudrais vous faire changer de résolution, dit mon oncle. Et pourtant si vous aviez éprouvé quelque envie de goûter au sport d'autrefois, dit mon oncle, j'avais une bonne chose à vous mettre sous la main.

-- Bah! monsieur, cela ne sert à rien, dit Harrison, mais tout de même, je serais heureux d'en savoir quelques mots.

-- On a découvert un bon gaillard, d'environ deux cents livres, par là-bas, du côté de Gloucester. Il se nomme Wilson et on l'a baptisé le Crabe à cause de sa façon de se battre.

Harrison hocha la tête.

-- Je n'ai jamais entendu parler de lui, monsieur. -- C'est extrêmement probable, car il n'a jamais paru dans le Prize-Ring. Mais on a une haute idée de lui dans l'Ouest et il peut tenir tête a n'importe lequel des Belcher avec les gants de boxe.

-- Ça, c'est de la boxe pour vivre, dit le forgeron.

-- On m'a dit qu'il avait eu le dessus dans un combat privé avec Noah James du Cheshire.

-- Il n'y a pas, monsieur, d'homme plus fort que Noah James le garde du corps, dit Harrison. Moi-même, je l'ai vu revenir à la charge cinquante fois, après avoir eu la mâchoire brisée en trois endroits. Si Wilson est capable de le battre, il ira loin.

-- On est de cet avis dans l'Ouest et on compte le lancer sur le champion de Londres. Sir Lothian Hume est son tenant et pour finir l'histoire en quelques mots, je vous dirai qu'il me met au défi de trouver un jeune boxeur de son poids qui le vaille. Je lui ai répondu que je n'en connaissais point de jeunes, mais que j'en avais un ancien qui n'avait pas mis les pieds dans un ring depuis des années et qui était capable de faire regretter à son homme d'avoir fait le voyage de Londres.

«-- Jeune ou vieux, ou au-dessus de trente cinq, m'a-t-il répondu, vous pouvez m'amener qui vous voudrez, ayant le poids, et je mettrai sur Wilson à deux contre un.

«Je l'ai pris contre des milliers de livres, tel que me voila.

-- C'est peine perdue, Sir Charles, dit le forgeron en hochant la tête. Rien ne me serait plus agréable, mais vous avez vous-même entendu ce qu'elle disait.

-- Eh bien! Harrison, si vous ne voulez pas combattre, il faut tâcher de trouver un poulain qui promette. Je serai content d'avoir votre avis à ce sujet. À propos, j'occuperai la place de président à un souper de la Fantaisie, qui aura lieu à l'auberge de la «Voiture et des Chevaux» à Saint Martin's Lane, vendredi prochain.

Jim Harrison, boxeur Page 22

Arthur Conan Doyle

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