Sa chaise a fait un trajet de dix-neuf milles en une heure dans un match contre le comte Taafe, et il a envoyé un message à cinquante milles de distance, en trente minutes, en le faisant passer de mains en mains dans une balle de cricket. L'homme, avec lequel il cause, est sir Charles Bunbury, du Jockey-Club, qui a fait exclure le prince de Galles du champ de courses de Newmarket pour avoir déclaré et retiré la monte de son jockey Sam Chifney. Voici le capitaine Barclay. Il en sait plus que qui que ce soit au monde en matière d'entraînement, et il a parcouru quatre-vingt-dix milles en vingt et une heures. Vous n'avez qu'à regarder ses mollets pour vous convaincre que la nature l'a fait exprès pour cela. Il y a ici un autre marcheur. C'est l'homme au gilet à fleurs qui est debout près du feu. C'est le beau Whalley qui a fait le voyage de Jérusalem en long habit bleu, bottes à l'écuyère et gants de peau.

-- Pourquoi a-t-il fait cela, monsieur? demandai-je tout étonné. -- Parce que c'était sa fantaisie, dit-il, et cette promenade l’a fait entrer dans la société, ce qui vaut mieux que d'être entré à Jérusalem. Voici ensuite Lord Petersham, l'homme au grand nez aquilin. C'est l'homme qui se lève tous les jours à six heures du soir et à la cave la mieux pourvue de tabac à priser de l'Europe. C'est lui qui a ordonné à son domestique de mettre une demi- douzaine de bouteilles de sherry à côté de son lit et de le réveiller le surlendemain. Il cause avec Lord Panmure qui est capable de boire six bouteilles de clairet et ensuite d'argumenter avec un évêque. L'homme maigre, et qui vacille sur ses genoux, est le général Scott qui vit de pain grillé et d'eau et qui a gagné deux cent mille livres au whist. Il cause avec le jeune Lord Blandfort qui, l'autre jour, a payé dix-huit cents livres un exemplaire de Boccace. Soir, Dudley.

-- Soir, Tregellis.

Un homme d'un certain âge, à l'air hagard, s'était arrêté devant nous et me toisait des pieds à la tête.

-- Quelque jeune blanc-bec que Charlie aura ramassé à la campagne, murmura-t-il. Il n'a pas une tournure à lui faire honneur. Quitté la ville, Tregellis?

-- Pendant quelques jours.

-- Hein! fit l'homme en reportant sur mon oncle son regard endormi. Il a l'air au plus mal. Il repartira pour la campagne les pieds en avant, un de ces jours, s'il ne se met pas à enrayer.

Il hocha la tête et s'éloigna.

-- Il ne faut pas prendre l'air mortifié, dit mon oncle en souriant. C'est le vieux Lord Dudley et il a pour genre de penser tout haut. On s'en fâchait souvent, mais on n'y fait plus d'attention maintenant. Tenez, la semaine dernière, comme il dînait chez Lord Elgin, il a prié la compagnie d'agréer ses excuses pour la mauvaise qualité de la cuisine. Comme vous le voyez, il se croyait à sa propre table. Cela lui donne une place à part dans la société. C'est à lord Harewood qu'il s'est cramponné pour le moment. La particularité de Harewood, c'est de copier le prince en tout. Un jour, le prince avait mis la queue sous le collet de son habit, croyant que la queue commençait à passer de mode. Harewood de couper la sienne. Voici Lumley, l’homme laid, comme on le nommait à Paris. L'autre, c'est Lord Foley, qu'on surnomme le numéro onze en raison de la minceur de ses jambes.

-- Voici Mr Brummel, monsieur, dis-je.

-- Oui, il va venir nous trouver bientôt. Ce jeune homme a certainement de l'avenir. Remarquez-vous la façon dont il regarde autour de lui, de dessous ses paupières, comme si c'était par condescendance qu'il est venu. Les petites poses sont insupportables, mais quand elles sont poussées jusqu'aux derniers extrêmes, elles deviennent respectables. Comment va, Georges?

-- Avez-vous entendu ce qu'on dit de Vereker Merton? demanda Brummel qui se promenait avec un ou deux autres beaux sur ses talons. Il s'est sauvé avec la cuisinière de son père et l'a bel et bien épousée.

-- Qu'a fait Lord Merton?

-- Il les a félicités chaleureusement et a reconnu qu'il avait toujours méconnu l'esprit de son fils. Il va habiter avec le jeune couple et consent à une forte pension, à la condition que la mariée continue à exercer sa profession. À propos, Tregellis, il court des bruits que vous seriez sur le point de vous marier?

-- Je ne crois pas, répondit mon oncle. Ce serait une faute que d'accabler une seule personne sous des attentions que tant d'autres seraient enchantées de se partager.

-- Ma façon de voir absolument, et exprimée de la manière la plus heureuse! s'écria Brummel. Est-ce juste de briser une douzaine de coeurs pour donner à un seul l’ivresse du ravissement? Je pars la semaine prochaine pour le continent.

-- Les recors, demanda un de ses voisins.

-- Pas si bas que cela, Pierrepont. Non, non, c'est pour combiner l'agrément et l'instruction. En outre, il est nécessaire d'aller à Paris pour nos petites affaires et s'il y a des chances pour qu'une nouvelle guerre éclate, il serait bon de s'en assurer une provision.

-- C'est parfaitement juste, dit mon oncle, qui semblait avoir à coeur de ne pas se laisser surpasser en extravagance par Brummel. Je faisais ordinairement venir mes gants soufre du Palais-Royal. En 93, quand la guerre a éclaté, j'en ai été privé pendant neuf ans. Si je n'avais pas loué un lougre tout exprès pour en introduire en contrebande, j'aurais peut-être été réduit à notre cuir tanné d'Angleterre.

-- Les Anglais sont supérieurs pour fabriquer un fer à repasser ou un tisonnier, mais tout ce qui demande plus de délicatesse est hors de leur portée.

-- Nos tailleurs sont bons, s'écria mon oncle, mais nos étoffes laissent à désirer par le goût et la variété. La guerre nous a rendus plus rococos que jamais. Elle nous a interdit les voyages. Il n'y a rien qui vaille comme les voyages pour former l'intelligence. L'année dernière, par exemple, je suis tombé sur de nouvelles étoffes pour gilets, sur la place Saint-Marc, à Venise. C'était jaune avec les plus jolis chatoiements rouges qu'on pût trouver. Comment aurais-je pu voir cela si je n'avais pas voyagé? J'en emportai avec moi et pendant quelque temps cela fit fureur.

-- Le prince s'en éprit aussi.

-- Oui, en général, il se conforme à ma direction. L'année dernière, nous étions habillés d'une façon si semblable qu'on nous prenait souvent l'un pour l'autre. Ce que je dis là n'est pas à mon avantage, mais c'était ainsi. Il se plaint souvent que les mêmes choses ne vont pas si bien sur lui que sur moi. Mais puis-je faire la réponse qui se présente d'elle-même? À propos, Georges, je ne vous ai pas vu au bal de la marquise de Douvres.

-- Oui, j'y étais et j'y suis resté environ un quart d'heure. Je suis surpris que vous ne m'y ayez pas vu. Toutefois, je ne suis pas allé plus loin que l'entrée, car une préférence injuste donne lieu à de la jalousie.

-- J'y suis allé dès la première heure, dit mon oncle, car j'avais entendu dire qu'il y aurait des débutantes fort passables. Je suis toujours enchanté quand je trouve l'occasion de faire un compliment à quelqu'une d'entre elles. C'est une chose qui est arrivée, mais rarement, car j'ai un idéal que je maintiens bien haut.

Jim Harrison, boxeur Page 34

Arthur Conan Doyle

Scottish Authors

Free Books in the public domain from the Classic Literature Library ©

Sir Arthur Conan Doyle
Classic Literature Library
Classic Authors

All Pages of This Book