Une foule grossière s'était amassée dans la rue pour voir entrer les champions.

Mon oncle m'avertit de surveiller mes poches pendant que nous la traversions.

À l'intérieur était une pièce tendue de rideaux d'un rouge d'étain, au sol sablé, aux murs garnis de gravures représentant des scènes de pugilat et des courses de chevaux. Des tables aux taches brunes, produites par les liqueurs, étaient disposées çà et là.

Autour d'une d'elles, une demi-douzaine de gaillards à l'aspect formidable étaient assis, tandis que l'un d'eux, celui qui avait l'air le plus brutal, y était perché balançant les jambes. Devant eux était un plateau chargé de petits verres et de pots d'étain.

-- Les amis avaient soif, monsieur, aussi leur ai-je apporté un peu d'ale, de délie-langues, dit à demi-voix l'hôtelier. J'espère que vous n'y trouverez pas d'inconvénient.

-- Vous avez très bien fait, Bob. Comment ça va-t-il, vous tous? Comment allez-vous, Maddox? et vous, Baldwin? Ah! Belcher, je suis enchanté de vous voir.

Les champions se levèrent et ôtèrent leur chapeau à l'exception de l'individu assis sur la table qui continua à balancer ses jambes et à regarder très froidement et bien en face mon oncle.

-- Comment ça va, Berks?

-- Pas trop mal et vous?

-- Dites: monsieur, quand vous parlez à un m'sieur, dit Belcher et aussitôt, donnant une brusque secousse à la table, il lança Berks presque entre les bras de mon oncle.

-- Hé Jem, pas de ça! dit Berks d'un ton bourru.

-- Je vous apprendrai les bonnes manières, Joe, puisque votre père a oublié de le faire. Vous n'êtes pas ici pour boire du tord- boyaux dans un sale taudis, mais vous êtes en présence de nobles personnes, de Corinthiens à la dernière mode, et vous devez vous régler sur leurs façons.

-- J'ai été considéré toujours comme une manière de noble personne, moi-même, dit Berks la langue épaisse, mais si par hasard j'avais dit ou fait quelque chose que je ne doive pas...

-- Voyons, là, Berks, c'est très bien, s'écria mon oncle, qui avait à coeur d'arranger les choses et de couper court à toute querelle au début de la soirée. Voici d'autres de nos amis. Comment ça va-t-il, Apreece? et vous aussi, colonel? Eh bien! Jackson, vous paraissez avoir gagné immensément. Bonsoir, Lade, j'espère que Lady Lade ne s'est pas trouvée trop mal de notre charmante promenade en voiture? Ah! Mendoza, vous avez l'air aujourd'hui en assez bonne forme pour jeter votre chapeau par- dessus les cordes. Sir Lothian, je suis heureux de vous voir. Vous trouverez ici quelques vieux amis.

Parmi la foule mobile des Corinthiens et des boxeurs qui se pressaient dans la pièce, j'avais entrevu la carrure solide et la face épanouie du champion Harrison.

Sa vue me fit l'effet d'une bouffée d'air de la dune du Sud qui avait pénétré jusque dans cette chambre au plafond bas, sentant l'huile, et je courus pour lui serrer la main.

-- Ah! maître Rodney. Ou bien dois-je vous appeler monsieur Stone, comme je le suppose? Vous êtes si changé qu'on ne vous reconnaîtrait pas. J'ai bien de la peine à croire que c'est véritablement vous qui veniez si souvent tirer le soufflet, quand le petit Jim et moi nous étions à l'enclume. Eh! comme vous voilà beau, pour sûr!

-- Quelles nouvelles apportez-vous de Friar's Oak? demandai-je avec empressement.

-- Votre père est venu faire un tour chez moi pour causer de vous, et il me dit que la guerre va éclater de nouveau, et qu'il espère vous voir à Londres dans peu de jours, car il doit se rendre ici pour visiter Lord Nelson et se mettre en quête d'un vaisseau. Votre mère se porte bien. Je l'ai vue dimanche à l'église.

-- Et Petit Jim?

La figure bonhomme du champion Harrison s'assombrit.

-- Il s'était mis sérieusement en tête de venir ici, ce soir, mais j'avais des raisons pour ne pas le désirer, de sorte qu'il y a un nuage entre nous. C'est le premier, et cela me pèse, maître Rodney. Entre nous, j'ai de très bonnes raisons pour désirer qu'il reste avec moi et je suis sûr qu'avec sa fierté de caractère et ses idées, il n'arriverait jamais à retrouver son équilibre une fois qu'il aurait goûté de Londres. Je l'ai laissé là-bas, avec une besogne suffisante pour le tenir occupé jusqu'à mon retour près de lui.

Un homme de haute taille, de proportions superbes et très élégamment vêtu, s'avançait vers nous.

Il nous regarda fixement, tout surpris, et tendit la main à mon interlocuteur.

-- Eh quoi? Jack Harrison? Une vraie résurrection. D'où venez- vous?

-- Enchanté de vous voir, Jackson, dit mon ami. Vous avez l'air aussi jeune et aussi solide que jamais.

-- Mais oui, merci, j'ai déposé la ceinture le jour où je n'ai plus trouvé personne avec qui je puisse lutter, et je me suis mis à donner des leçons.

-- Et moi j'exerce le métier de forgeron, par là-bas, dans le Sussex.

-- Je me suis souvent demandé pourquoi vous n'avez pas guigné ma ceinture. Je vous le dis franchement, d'homme à homme, je suis très content que vous ne l'ayez pas fait.

-- Eh bien! C'est très beau de votre part de parler ainsi, Jackson. Je l'aurais peut-être essayé, mais la bonne femme s'y est opposée. Elle a été une excellente épouse pour moi, et je n'ai pas un mot à dire contre elle. Mais je me sens quelque peu isolé, car tous ces jeunes gens ont paru depuis mon temps.

-- Vous pourriez en battre quelques-uns encore, dit Jackson en palpant les biceps de mon ami. Jamais on ne vit meilleure étoile dans un ring de vingt-quatre pieds. Ce serait une vraie fête que de vous voir aux prises avec certains de ces jeunes. Voulez-vous que je vous engage contre eux?

Les yeux d'Harrison étincelèrent à cette idée, mais il secoua la tête.

-- C'est inutile, Jackson, j'ai promis à ma vieille. Voilà Belcher. N'est-ce pas ce jeune gaillard à belle tournure, à l'habit si voyant.

-- Oui, c'est Jem, vous ne l'avez pas vu, c'est un joyau.

-- Je l'ai entendu dire. Quel est ce tout jeune, qui est près de lui? Il m'a l'air d'un solide gars.

-- C'est un nouveau qui vient de l'Ouest. On le nomme Wilson le Crabe.

Harrison le considéra avec intérêt.

-- J'ai entendu parler de lui. On organise un match sur lui, n'est-ce pas?

-- Oui, Sir Lothian Hume, le gentleman à figure maigre que l'on voit là-bas, l'a retenu contre l'homme de sir Charles Tregellis. Nous allons apprendre des nouvelles de ce match ce soir, à ce qu'il paraît. Jem Belcher s'attend à de beaux exploits de la part de Wilson le Crabe. Voici Tom le frère de Belcher. Il cherche aussi un engagement. On dit qu'il est plus vif que Jem avec les gants, mais qu'il ne frappe pas aussi dur. J'étais en train de parler de votre frère, Jem.

-- Le petit fera son chemin, dit Belcher qui s'était approché. Pour le moment, il se joue plutôt qu'il ne se bat, mais quand il aura jeté sa gourme, je le tiens contre n'importe lequel de ceux qui sont sur la liste. Il y a dans Bristol, en ce moment, autant de champions qu'il y a de bouteilles dans un cellier. Nous en avons reçu deux de plus -- Gully et Pearse --qui feront souhaiter à vos tourtereaux de Londres, qu'ils retournent bientôt dans leur pays de l'Ouest.

Jim Harrison, boxeur Page 36

Arthur Conan Doyle

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