Pendant une minute, ils se regardèrent.

Puis Berks baissant la tête et lançant un coup de sa façon qui était de passer sa main par-dessus celle de l'autre, poussa brusquement Jim dans son coin.

Ce fut une glissade en arrière plutôt qu'un Knock-down mais on vit un mince filet de sang couler au coin de la bouche de Jim.

En un instant, les seconds prirent leurs hommes et les entraînèrent dans leur coin.

-- Vous est-il égal de doubler notre enjeu? dit Berkeley Craven, qui allongeait le cou pour apercevoir Jim.

-- Quatre contre un sur Berks! Quatre contre un sur Berks! crièrent les gens du ring.

-- L'inégalité s'est accrue, comme vous voyez. Tenez-vous quatre contre un en centaines?

-- Parfaitement, Sir John!

-- On dirait que vous comptez davantage sur lui, maintenant qu'il a eu un Knock-down.

--Il a été bousculé par un coup, mais il a paré tous ceux qui lui ont été portés et je trouve qu'il avait une mine à mon gré quand il s'est relevé.

-- Bon! Moi j'en tiens pour le vieux boxeur. Les voici de nouveau. Il a appris un joli jeu, et il se couvre bien, mais ce n'est pas toujours celui qui a les meilleures apparences qui gagne.

Ils étaient aux prises pour la seconde fois et je trépignais d'agitation sur mon seau.

Il était évident que Berks prétendait l'emporter de haute lutte, tandis que Jim, conseillé par les deux hommes les plus expérimentés de l'Angleterre, comprenait fort bien que la tactique la plus sûre consistait à laisser le coquin gaspiller sa force et son souffle en pure perte.

Il y avait quelque chose d'horrible dans l'énergie que mettait Berks à lancer ses coups et à accompagner chaque coup d'un grognement sourd.

Après chacun d'eux, je regardais Jim comme j'aurais regardé un navire échoué sur la plage du Sussex, après chaque vague succédant à une autre vague, qui venait de monter en grondant et chaque fois je m'attendais à le revoir cruellement abîmé.

Mais la lumière de la lanterne me montrait chaque fois la figure aux traits fins de l'adolescent, avec la même expression alerte, les yeux bien ouverts, la bouche serrée, pendant qu'il recevait les coups sur l’avant-bras ou que, baissant subitement la tête, il les laissait passer en sifflant par-dessus son épaule.

Mais Berks avait autant de ruse que de violence.

Graduellement, il fit reculer Jim dans un angle du carré de cordes, d'où il lui était impossible de s'échapper et dès qu'il l'y eut enfermé, il se jeta sur lui comme un tigre.

Ce qui se passa alors dura si peu de temps, que je ne saurais le détailler dans son ordre, mais je vis Jim se baisser rapidement sous les deux bras lancés à toute volée. En même temps, j'entendis un bruit sec, sonore, et je vis Jim danser au centre du ring, Berks gisant sur le côté, une main sur un oeil.

Quelles clameurs! Les professionnels, les Corinthiens, le Prince, les valets d'écurie, l'hôtelier, tout le monde criait à tue-tête.

Le vieux Buckhorse sautillait près de moi, sur une caisse, et de sa voix criarde, piaillait des critiques et des conseils en un jargon de ring étrange et vieilli que personne ne comprenait.

Ses yeux éteints brillaient. Sa face parcheminée frémissait d'excitation et son bruit musical de cloche domina le vacarme.

Les deux hommes furent entraînés vivement dans leurs coins.

Un des seconds les épongeait tandis que l'autre agitait une serviette, devant leur figure. Eux-mêmes, les bras ballants, les jambes allongées, absorbaient autant d'air que leurs poumons pouvaient en contenir pendant le court intervalle qui leur était accordé.

-- Que pensez-vous de votre blanc bec campagnard? cria Craven triomphant. Avez-vous jamais rien vu de plus magistral?

-- Ce n'est certes point un Jeannot, dit Sir John en hochant la tête. À combien tenez-vous pour Berks, Lord Sele?

-- À deux contre un.

-- Je vous le prends à cent par unité.

-- Voilà Sir John qui se couvre, s'écria mon oncle, en se retournant vers nous avec un sourire.

-- Allez! dit Jackson.

Ce round-là fut notablement plus court que le précédent.

Évidemment, Berks avait reçu la recommandation d'engager la lutte de près à tout prix, pour profiter de l'avantage que lui donnait sa supériorité de poids, avant que l'avantage que donnait à son adversaire sa supériorité de forme pût faire son effet.

D'autre part, Jim, après ce qui s'était passé dans le dernier round, était moins disposé à faire de grands efforts pour le tenir à distance d'une longueur de bras.

Il visa à la tête de Berks qui se lançait à fond, le manqua et reçut à rebours un violent coup en plein corps, qui lui imprima sur les côtes, en haut, la marque en rouge de quatre phalanges.

Comme ils se rapprochaient, Jim saisit à l'instant sous son bras la tête sphérique de son adversaire et y appliqua deux coups du bras ployé, mais grâce à son poids le professionnel le fit sauter par-dessus lui et tous deux roulèrent à terre, côte à côte, essoufflés.

Mais Jim se releva d'un bond et se rendit dans son coin, tandis que Berks, étourdi par ses excès de ce soir, se dirigeait vers son siège en s'appuyant d'un bras sur Mendoza et de l'autre sur Sam le Hollandais.

-- Soufflets de forge à raccommoder, s'écria Jem Belcher. Et maintenant qui tient quatre contre un?

-- Donnez-nous le temps d'ôter le couvercle de notre poivrière, dit Mendoza. Nous entendons qu'il y en ait pour la nuit.

-- Voilà qui en a bien l'air! dit Jack Harrison. Il a déjà un oeil de fermé. Je tiens un contre un que mon garçon gagne.

-- Combien? crièrent plusieurs voix.

-- Deux livres quatre shillings trois pence, dit Harrison comptant tout ce qu'il possédait en ce monde.

Jackson cria une fois de plus. -- Allez!

Tous deux furent d'un bond à la marque, Jim avec autant de ressort et de confiance et Berks avec un ricanement fixé sur sa face de bouledogue et un éclair de féroce malice dans l'oeil qui pouvait lui servir.

Sa demi-minute ne lui avait pas rendu tout son souffle et sa vaste poitrine velue se soulevait, s'abaissant avec un halètement rapide, bruyant comme celui d'un chien courant qui n'en peut plus.

-- Allez-y, mon garçon, bourrez-le sans relâche, hurlèrent Belcher et Harrison.

-- Ménagez votre souffle, Berks! Ménagez votre souffle, criaient les Juifs.

Ainsi donc nous assistâmes à un renversement de tactique, car cette fois c'était Jim qui se lançait avec toute la vigueur de la jeunesse, avec une énergie que rien n'avait entamée, tandis que Berks, le sauvage, payait à la nature la dette qu'il avait contractée, en l'outrageant tant de fois.

Il ouvrait la bouche. Il avait des gargouillements dans la gorge, sa figure s'empourprait dans les efforts qu'il faisait pour respirer tout en étendant son long bras gauche et reployant son bras droit en travers, pour parer les coups de son nerveux antagoniste.

-- Laissez-vous tomber quand il frappera, cria Mendoza. Laissez- vous tomber et prenez un instant de repos.

Mais il n'y avait pas de sournoiserie ni de changement dans le jeu de Berks. Il avait toujours été une courageuse brute qui dédaignait de s'effacer devant un adversaire, tant qu'il pouvait tenir sur ses jambes.

Jim Harrison, boxeur Page 44

Arthur Conan Doyle

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