Il tint Jim à distance avec ses longs bras et si bien que Jim bondit autour de lui pour trouver une ouverture, il était arrêté comme s'il avait eu devant une barre de fer de quarante pouces.
Maintenant, chaque instant gagné était un avantage pour Berks.
Déjà il respirait plus librement et la teinte bleuâtre s'effaçait sur sa figure.
Jim devinait que les chances d'une prompte victoire allaient lui glisser entre les doigts. Il revint, il multiplia ses attaques rapides comme l'éclair, sans pouvoir vaincre la résistance passive que lui opposait le professionnel expérimenté.
C'était alors que la science du ring trouvait son application. Heureusement pour Jim, il avait derrière lui deux maîtres de cette science.
-- Portez votre gauche sur sa marque, mon garçon, et visez à la tête avec le droit, crièrent-ils.
Jim entendit et agit à l'instant.
-- Pan!
Son poing gauche arriva juste à l'endroit où la courbe des côtes de son adversaire quittait le sternum.
La violence du coup fut atténuée de moitié par le coude de Berks, mais elle eut pour résultat de lui faire porter la tête en avant.
-- Pan! fit le poing droit, avec un son clair, net, d'une boule de billard qui en heurte une autre.
Berks chancela, battit l'air de ses bras, pivota et s'abattit en une vaste masse de chair sur le sol.
Ses seconds s'élancèrent aussitôt et le mirent sur son séant. Sa tête se balançait inconsciemment d'une épaule à l'autre et finit même par tomber en arrière le menton tendu vers le plafond.
Sam le Hollandais lui fourra la vessie de brandy entre les dents, pendant que Mendoza le secouait avec fureur en lui hurlant des injures aux oreilles; mais ni l'alcool ni les injures ne pouvaient le faire sortir de cette insensibilité sereine.
Le mot: «Allez!» fut prononcé au moment prescrit et les Juifs, voyant que l'affaire était finie, lâchèrent la tête de leur homme qui retomba avec bruit sur le plancher. Il y resta étendu, ses gros bras, ses fortes jambes allongés, pendant que les Corinthiens et les professionnels s'empressaient d'aller plus loin secouer la main de son vainqueur.
De mon côté, j'essayai aussi de fendre la foule, mais ce n'était pas une tâche aisée pour l'homme le plus faible qu'il y eût dans la pièce.
Tout autour de moi, des discussions animées s'engageaient entre amateurs et professionnels sur la performance de Jim et sur son avenir.
-- C'est le plus beau début que j'aie jamais vu, depuis le jour où Jem Belcher se battit pour la première fois avec Paddington Jones à Wormwood Scrubbs, il y aura de cela quatre ans au dernier avril, dit Berkeley Craven. Vous lui verrez la ceinture autour du corps, avant qu'il ait vingt-cinq ans, ou je ne me connais pas en hommes.
-- Cette belle figure que voila me coûte bel et bien cinq cents livres, grommelait Sir John Lade. Qui aurait cru qu'il tapait d'une façon si cruelle?
-- Malgré cela, disait un autre, je suis convaincu que si Joe Berks avait été à jeun, il l'aurait mangé. En outre, le jeune gars était en plein entraînement, tandis que l'autre était prêt à éclater comme une pomme de terre trop cuite, s'il avait été touché. Je n'ai jamais vu un homme aussi mou et avec le souffle en pareille condition. Mettez les hommes à l'entraînement et votre casseur de têtes sera comme une poule devant un cheval.
Quelques-uns furent de l'avis de celui qui venait de parler. D'autres furent d'un avis contraire, de sorte qu'une discussion passionnée s'engagea autour de moi.
Pendant qu'elle marchait, le prince partit et comme à un signal donné, la majorité de la compagnie gagna la porte.
Cela me permit d'arriver enfin jusqu'au coin où Jim finissait sa toilette pendant que le champion Harrison, avec des larmes de joie sur les joues, l'aidait à remettre son pardessus.
-- En quatre rounds! ne cessait-il de répéter dans une sorte d'extase. Joe Berks en quatre rounds! Et il en a fallu quatorze à Jem Belcher!
-- Eh bien! Roddy, cria Jim en me tendant la main, je vous l'avais bien dit que j'irais à Londres et que je m'y ferais un nom.
-- C'était splendide, Jim!
-- Bon vieux Roddy! J'ai vu dans le coin votre figure, vos yeux fixés sur moi. Vous n'êtes pas changé avec tous vos beaux habits et vos vernis de Londres.
-- C'est vous qui avez changé, Jim. J'ai eu de la peine à vous reconnaître quand vous êtes entré dans la salle.
-- Et moi aussi, dit le forgeron. Où avez-vous pris tout ce beau plumage, Jim? Je sais pour sûr que ce n'est pas votre tante qui vous aura aidé à faire les premiers pas vers le ring et ses prix.
-- Miss Hinton a été une amie pour moi, la meilleure amie que j'aie jamais eue!
-- Hum! je m'en doutais, grommela le forgeron. Eh bien! Jim, je n'y suis pour rien et vous, Jim, vous aurez à me rendre témoignage sur ce point quand nous retournerons à la maison. Je ne sais pas trop ce que... Mais ce qui est fait est fait et on n'y peut plus rien... Après tout, elle est... À présent que le diable emporte ma langue maladroite.
Je ne saurais dire si c'était l'effet du vin qu'il avait bu au souper ou l'excitation que lui causait la victoire du petit Jim, mais Harrison était très agité et sa physionomie d'ordinaire placide avait une expression de trouble extrême.
Ses manières semblaient tour à tour trahir la jubilation et l'embarras.
Jim l'examinait avec curiosité et évidemment, se demandait ce qui pouvait se cacher derrière ces phrases hachées et ces longs silences.
Pendant ce temps, le hangar aux voitures avait été débarrassé.
Jem Belcher était resté à causer d'un air fort grave avec mon oncle.
-- C'est parfait, Belcher, dit mon oncle, à portée de mon oreille.
-- Je me ferais un vrai plaisir de m'en charger, monsieur, dit le fameux pugiliste.
Et tous deux se dirigèrent vers nous.
-- Je désirais vous demander, Jim Harrison, si vous consentiriez à être mon champion dans le combat avec Wilson le Crabe, de Gloucester, dit mon oncle.
-- Ce que je désire, sir Charles, c'est la chance de faire mon chemin.
-- Il y a de gros enjeux, de très gros enjeux sur l’event, dit mon oncle. Vous recevrez deux cents livres si vous gagnez. Cela vous convient-il?
-- Je combattrai pour l'honneur et parce que je veux qu'on m'estime digne de me mettre en ligne avec Jem Belcher.
Belcher se mit à rire de bon coeur.
-- Vous prenez le chemin pour y arriver, jeune homme, dit-il, mais c'était chose assez aisée pour vous, ce soir, de battre un homme qui avait bu et qui n'était pas en forme.
-- Je ne tenais pas du tout à me battre avec lui, dit Jim en rougissant.
-- Oh! je sais que vous avez assez de courage pour vous battre avec n'importe quel bipède. J'en étais sûr dès que mes yeux se sont arrêtés sur vous. Mais je vous rappelle que quand vous aurez à vous battre avec Wilson, vous aurez affaire à l'homme de l'Ouest qui donne les plus belles promesses et l'homme le plus fort de l'Ouest sera sans doute l'homme le plus fort de l'Angleterre. Il a les mouvements aussi vifs et la portée de bras aussi longue que vous, et il s'entraîne jusqu'à sa demi-once de graisse.