-- Il n'y a qu'une allée qui conduise hors du jardin, dit le maître de l'hôtel, en se mettant à notre tête. Il donne sur cette ruelle écartée qui conduit aux écuries. L'autre bout va rejoindre la petite route.

Soudain apparut la forte lumière jaune d'une lanterne d'écurie qui dessina un rond brillant dans l'obscurité, et un palefrenier sortit dans la cour en flânant.

-- Qui va là? cria le maître de l'hôtel.

-- C'est moi, patron, Bill Shields.

-- Depuis quand êtes-vous ici, Bill?

-- Patron, voici une heure que je suis dans les écuries à aller et venir. Il n'y a pas moyen de mettre un cheval de plus. Ce n'est pas la peine d'essayer et j'ose à peine leur donner à manger, car pour peu qu'ils tiennent plus de place...

-- Venez par ici, Bill, et faites attention à vos réponses, car une erreur peut vous coûter votre place. Avez-vous vu quelqu'un passer dans le sentier? -- Il s'y trouvait, il y a quelque temps, un individu avec une casquette en poil de lapin. Il était là, à flâner, aussi, je lui ai demandé qu'est-ce qu'il avait à faire, car sa figure ne m'allait pas, non plus que sa façon de reluquer aux fenêtres. J'ai tourné la lanterne de l'écurie sur lui, mais il a baissé la tête, et tout ce que je peux dire, c'est qu'il avait les cheveux rouges.

Je jetai un rapide coup d'oeil sur mon oncle, et je vis que sa figure s'était encore assombrie.

-- Qu'est-il devenu? demanda-t-il.

-- Il s'est esquivé et je ne l'ai plus vu, monsieur.

-- Vous n'avez vu aucune autre personne? Vous n'avez pas vu, par exemple, une femme et un homme sortir ensemble par le sentier?

-- Non, monsieur.

-- Rien entendu d'extraordinaire?

-- Ah! puisque vous en parlez, monsieur, oui, j'ai entendu quelque chose, mais, dans une nuit pareille, quand toutes les fripouilles de Londres sont dans le village...

-- Eh bien! qu'était-ce?

-- Eh bien! monsieur, c'était comme qui dirait un cri parti de là- bas. On aurait dit quelqu'un qui avait attrapé un mauvais coup. Je me suis dit: C'est sans doute deux lurons qui se battent et je n'ai pas fait grande attention.

-- De quel coté partait ce cri? -- Du côté de la route, monsieur.

-- Venait-il de loin?

-- Non, monsieur, je suis sur que ça venait de deux cents yards au plus.

-- Un seul cri?

-- Oui, comme qui dirait un hurlement. Puis j'ai entendu une voiture passer à fond de train sur la route. Je me rappelle que j'ai trouvé singulier que l’on quittât Crawley en voiture, dans une nuit comme celle-ci.

Mon oncle prit la lanterne des mains de l'homme, et nous, nous descendîmes le sentier, groupés derrière lui.

Le sentier aboutissait à angle droit sur la route.

Mon oncle y courut, mais il ne fut pas longtemps à chercher.

La forte lumière éclaira soudain quelque chose qui amena un gémissement sur mes lèvres et un âpre juron sur celle de Belcher.

À la surface blanchie de la poussière de la route s'allongeait une traînée écarlate et près de la tache de mauvais augure, gisait un petit et meurtrier instrument, un assommoir de poche, tel que War l'avait mentionné le matin.

XVI -- LES DUNES DE CRAWLEY

Pendant cette nuit terrible, mon oncle et moi, Belcher, Berkeley Craven et une douzaine de Corinthiens nous fouillâmes toute la campagne pour trouver quelque trace de notre champion perdu, mais à part cette trace inquiétante sur la route, on ne découvrit pas le moindre indice de ce qui lui était arrivé.

Personne ne l'avait vu, personne n'avait rien appris sûr son compte.

Le cri isolé, jeté dans la nuit et dont le palefrenier avait parlé, était l’unique preuve qu'une tragédie avait eu lieu.

Divisés en petits groupes, nous battîmes tout le pays jusqu'à East Grintead et même Bletchingley et le soleil était déjà assez élevé au-dessus de l'horizon lorsque nous fûmes de retour à Crawley, le coeur gros et accablés de fatigue.

Mon oncle, qui s'était rendu en voiture à Reigate, dans l'espoir d'en rapporter quelques renseignements, n'en revint qu'à sept heures passées et un coup d'oeil, jeté sur sa figure, nous apprit des nouvelles aussi sombres que celles qu'il lut sur nos figures à nous.

Nous tînmes conseil autour de la table où nous était servi un déjeuner qui ne nous tentait guère et auquel avait été invité Mr Berkeley Craven, en sa qualité d'homme de bon conseil et de grande expérience en matière de sport.

Belcher était à moitié fou de voir tourner ainsi brusquement toutes les peines qu'il s'était données pour cet entraînement.

Il était incapable d'autre chose que de lancer de délirantes menaces contre Berks et ses compagnons et de leur promettre de les arranger de belle façon dès qu'il les rencontrerait.

Mon oncle restait grave et pensif. Il ne mangeait pas et tambourinait avec ses doigts sur la table.

Moi, j'avais le coeur gros, j'étais sur le point de cacher ma figure dans mes mains et de fondre en larmes, à la pensée de l'impuissance où j'étais de secourir mon ami.

Mr Berkeley Craven, homme du monde à la figure florissante, était le seul d’entre nous qui parût avoir gardé à la fois, son sang- froid et son appétit.

-- Voyons, la lutte devait avoir lieu à dix heures, n'est-ce pas? demanda-t-il.

-- C'était convenu ainsi.

-- Je me permets de croire qu'elle aura lieu. Ne dites jamais: «c'est fini» Tregellis. Votre champion a trois heures pour revenir. Mon oncle hocha la tête.

-- Les bandits auront trop bien accompli leur oeuvre pour que cela soit possible. Je le crains, dit-il.

-- Voyons, raisonnons sur la chose, dit Berkeley Craven. Une jeune femme veut tirer le jeune homme de sa chambre par ses agaceries. Connaissez-vous une jeune femme qui ait de l'influence sur lui?

Mon oncle m'interrogea du regard.

-- Non, je n'en connais aucune.

-- Bon, nous savons qu'il en est venu une, dit Berkeley Craven. Il n'y a pas le moindre doute à ce sujet. Elle est venue conter quelque histoire touchante, quelque histoire qu'un galant jeune homme ne peut se refuser à écouter. Il est tombé dans le piège et s'est laissé attirer dans quelque endroit où les gredins l'attendaient. Nous pouvons regarder tout cela comme prouvé, je le suppose, Tregellis?

-- Je ne vois pas d'explication plus plausible, dit mon oncle.

-- Eh bien alors, il est évident que ces hommes n'ont aucun intérêt à le tuer. War le leur a entendu dire. Ils n'étaient pas certains peut-être de faire à un jeune homme aussi solide assez de mal pour le mettre absolument hors d'état de se battre. Même avec un bras cassé, il aurait pu risquer la lutte: d'autres l'ont déjà fait. Il y avait trop d'argent en jeu pour qu'ils se missent dans le moindre danger. Ils lui auront sans doute donné un coup sur la tête pour l'empêcher de faire trop de résistance, puis ils l'auront emmené dans une ferme ou une étable où ils le retiendront prisonnier jusqu'à ce que l'heure de la lutte soit passée. Je vous garantis que vous le reverrez avant la nuit aussi bien portant qu'avant.

Cette théorie avait des apparences si plausibles qu'il me semblait qu'elle m'ôtait un poids de dessus le coeur, mais je vis bien qu'au point de vue de mon oncle ce n'était guère consolant.

Jim Harrison, boxeur Page 59

Arthur Conan Doyle

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