Un cavalier, en costume fantaisiste vert et superbement monté, attendait à la croisée des routes, et quand il eut lancé son cheval d'un coup d'éperon jusqu'à nous, je reconnus la belle figure brune et les yeux noirs et hardis de Mendoza.

-- J'attends ici pour donner les renseignements officiels, Sir Charles, dit-il. C'est au bas de la route de Grinstead, à un demi- mille sur la gauche.

-- Très bien, dit mon oncle, en tirant sur les rênes des juments pour prendre la route qui débouchait à cet endroit.

-- Vous n'avez pas amené votre homme là-bas, remarqua Mendoza d'un air un peu soupçonneux.

-- Que diable cela peut-il vous faire? cria Belcher d'un ton furieux.

-- Cela nous fait beaucoup à nous tous, car on raconte d'étranges histoires.

-- Alors vous ferez bien de les garder pour vous ou vous pourriez bien vous repentir de les avoir écoutées.

-- All right, Jim! À ce que je vois, votre déjeuner de ce matin n'est pas bien passé.

-- Les autres sont-ils arrivés? dit mon oncle, d'un air insouciant.

-- Pas encore, Sir Charles, mais Tom Oliver est là-bas avec les cordages et les piquets. Jackson vient d'arriver en voiture et la plupart des gardiens du ring sont à leur poste.

-- Nous avons encore une heure, fit remarquer mon oncle, en se remettant en marche. Il est possible que les autres soient en retard, puisqu'ils doivent venir de Reigate.

-- Vous prenez la chose en homme, Tregellis, dit Craven.

-- Nous devons faire bonne contenance et avoir un front d'airain jusqu'au dernier moment.

-- Naturellement, monsieur, s'écria Belcher, je n'aurais jamais cru que les paris montent comme cela. C'est qu'il y a quelqu'un qui sait... Nous devons y aller du bec et des ongles, Sir Charles, et voir comment cela tournera.

Il nous arriva un bruit pareil à celui que font les vagues sur la plage, bien avant que nous fussions en présence de cette immense multitude.

Enfin, à un plongeon brusque que fit la route, nous vîmes cette foule, ce tourbillon d'êtres humains se déployant devant nous, avec un vide tournoyant au centre.

Tout autour, les voitures et les chevaux étaient disséminés par milliers à travers la lande. Les pentes étaient animées par la présence de tentes et de boutiques improvisées.

On avait choisi pour emplacement du ring un endroit où l'on avait pratiqué dans le sol une grande cuvette, de façon que le contour formât un amphithéâtre naturel d'où tout le monde pût bien voir ce qui se passait au centre.

À notre approche, un murmure de bienvenue partit de la foule qui était placée sur les bords et par conséquent le plus proche de nous et ces acclamations se répétèrent dans toute la multitude.

Un instant après, on entendit de grands cris qui commençaient à l'autre bout de l'arène.

Toutes les figures, qui étaient tournées vers nous, se retournèrent, si bien qu'en un clin d'oeil, tout le premier plan passa du blanc au noir.

-- Ce sont eux. Ils sont exacts, dirent ensemble mon oncle et Craven.

En nous tenant debout sur notre voiture, nous pûmes apercevoir la cavalcade qui approchait des Dunes.

Elle commençait par la spacieuse barouche où étaient assis Sir Lothian Hume, Wilson le Crabe et le capitaine Barclay, son entraîneur.

Les postillons avaient à leur coiffure des flots de faveurs jaune serin. C'était la couleur sous laquelle devait lutter Wilson.

Derrière la voiture venaient à cheval une centaine au moins de gentlemen de l'Ouest, puis une file, à perte de vue, de gigs, de tilburys, de voitures.

Tout cela descendit par la route de Grinstead. La grosse barouche arrivait, en tanguant sur la prairie, dans notre direction.

Sir Lothian Hume nous aperçut et donna à ses postillons l'ordre d'arrêter.

-- Bonjour, Sir Charles, dit-il en mettant pied à terre. J'ai cru reconnaître votre voiture rouge. Voilà une belle matinée pour la lutte.

Mon oncle s'inclina d'un air froid, sans répondre.

-- Je suppose, puisque nous voilà tous présents, que nous pouvons commencer tout de suite, dit Sir Lothian, sans faire attention aux façons de son interlocuteur.

-- Nous commencerons à dix heures. Pas une minute plus tôt.

-- Très bien, puisque vous y tenez. À propos, Sir Charles, où est votre homme?

-- C'est à vous que je devrais adresser cette question, Sir Lothian. Où est mon homme?

Une expression d'étonnement se peignit sur les traits de Sir Lothian, expression admirablement feinte si elle n'était pas vraie.

-- Qu'entendez-vous dire, en me faisant une pareille question?

-- C'est que je tiens à le savoir.

-- Mais comment puis-je répondre? Est-ce que c'est mon affaire?

-- J'ai des motifs de croire que vous en avez fait votre affaire.

-- Si vous aviez la bonté de vous expliquer un peu plus clairement, il me serait peut-être possible de vous comprendre.

Tous deux étaient très pâles, très froids, très raides et impassibles dans leur attitude, mais ils échangeaient des regards comme s'ils croisaient le fer.

Je me rappelai la réputation de terrible duelliste qu'avait Sir Lothian et je tremblai pour mon oncle.

-- Maintenant, monsieur, si vous vous imaginez avoir un grief contre moi vous m'obligeriez infiniment en me le faisant connaître clairement.

-- C'est ce que je vais faire, dit mon oncle. Il a été organisé un complot pour estropier où enlever mon champion et j'ai toutes les raisons possibles de croire que vous y êtes mêlé.

Un vilain sourire narquois passa sur la figure bilieuse de Sir Lothian.

-- Je vois, dit-il, votre homme n'est pas devenu le champion sur lequel vous comptiez, au bout de son entraînement, et vous voilà bien embarrassé pour trouver une défaite. Tout de même je crois que vous eussiez pu en trouver une qui fût plus plausible ou qui comportât des suites moins sérieuses.

-- Monsieur, répondit mon oncle, vous êtes un menteur, mais personne ne sait mieux que vous à quel point vous êtes un menteur.

Les joues creuses de Sir Lothian pâlirent de colère et je vis pendant un instant, dans ses yeux profondément enfoncés, la lueur que l'on aperçoit au fond de ceux d'un mâtin en fureur qui se dresse et se traîne au bout de sa chaîne.

Puis, par un effort, il redevint ce qu'il était d'ordinaire l'homme froid, dur, maître de lui-même.

-- Il ne convient pas dans notre situation de nous quereller comme deux rustres ivres un jour de marché, dit-il. Nous pousserons l'affaire plus loin un autre jour.

-- Pour cela, je vous le promets, répondit mon oncle d'un ton farouche.

-- En attendant, je vous invite à observer les conditions de votre engagement. Si vous ne présentez pas votre champion dans vingt- cinq minutes, je réclame l'enjeu.

-- Vingt-huit minutes, dit mon oncle en regardant sa montre. Alors vous pourrez le réclamer, mais pas un instant plus tôt.

Il était admirable en ce moment, car il avait l'air d'un homme qui dispose de toute sorte de ressources cachées.

Pendant ce temps, Craven, qui avait échangé quelques mots avec Sir Lothian Hume, revint près de nous.

-- J'ai été prié de remplir les fonctions d'unique juge en cette affaire. Cela répond-il à vos désirs, Sir Charles? -- Je vous serais extrêmement obligé, Craven, d'accepter ces fonctions.

Jim Harrison, boxeur Page 61

Arthur Conan Doyle

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