Les poteaux de bois blanc, dont chacun portait les initiales P.C. du Pugiling-Club, furent plantés de façon à délimiter un carré de vingt-quatre pieds de côté entourés de cordes.

En dehors de ce ring, une autre enceinte fut disposée; il y avait huit pieds de largeur entre les deux.

L'enceinte intérieure était destinée aux combattants et à leurs seconds tandis que dans l'enceinte extérieure, des places étaient réservées au juge, au chronométreur, aux patrons des champions et à un petit nombre de personnages distingués ou favorisés du nombre desquels je fus, étant en compagnie de mon oncle.

Une vingtaine de pugilistes bien connus, y compris mon ami Bill War, Richmond le noir, Maddox, la Gloire de Westminster, Tom Belcher, Paddington Jones, Tom Blake l'endurant, Symonds le bandit, Tyne le tailleur et d'autres furent disposés comme gardes dans l'enceinte extérieure.

Tous ces gaillards portaient les hauts chapeaux blancs qui étaient si en faveur auprès des gens à la mode. Ils étaient armés de cravaches à monture d'argent, marquées aux initiales P.C.

Si quelqu'un, vagabond de l'East End ou patricien du West End, se faufilait dans l'enceinte extérieure, le corps des gardiens, au lieu de recourir aux raisonnements ou aux prières, tombait à tour de bras sur le coupable et le cravachait sans merci, jusqu'à ce qu'il se fût enfui du terrain défendu.

Et malgré cette garde formidable et ces procédés sauvages, les gardes qui avaient à soutenir l'effort de poussée en avant d'une foule enragée, étaient souvent aussi éreintés que les combattants eux-mêmes à la fin d'une rencontre.

Jusqu'à ce moment-là, ils formaient une ligne de sentinelles qui présentait, sous une série d'uniformes chapeaux blancs, tous les types possibles du boxeur, depuis la figure fraîche et juvénile de Tom Belcher, de Jones et des autres nouvelles recrues, jusqu'aux faces cicatrisées et mutilées des vieux professionnels.

Pendant qu'on s'occupait de planter les poteaux, de fixer les cordes, je pouvais, grâce à ma place privilégiée, entendre les propos de la foule qui était derrière moi. Deux rangs de cette foule étaient allongés par terre, les deux autres rangs agenouillés et le reste debout en colonnes serrées sur toute la pente douce, de telle sorte que chaque ligne ne pouvait voir que par-dessus les épaules de celle qui était en avant d'elle.

Il y avait plusieurs spectateurs et, de ce nombre, de fort expérimentés, qui voyaient les chances d'Harrison sous le jour le plus sombre, et j'avais le coeur gros à entendre leurs propos.

-- Toujours la même histoire, disait l'un. Ils ne veulent pas se mettre dans la tête que les jeunes doivent avoir leur tour. Il faut le leur enfoncer dans la tête à coups de poing.

-- Oui, oui, disait un autre, c'est comme cela que Jack Slack a battu Boughton et que moi-même, j'ai vu Hooper le ferblantier mettre en morceaux le marchand d'huile. Ils en viennent tous là avec le temps et maintenant c'est le tour d'Harrison.

-- N'en soyez pas si sûr que ça, s'écria un troisième. J'ai vu Jack Harrison se battre cinq fois et jamais je ne l'ai vu vaincu. C'est un boucher, vous dis-je.

-- C'était, voulez-vous dire.

-- Eh bien, je ne vois pas qu'il ait tant changé que cela. Et je suis prêt à mettre dix guinées sur mon opinion.

-- Comment! dit très haut un homme placé juste derrière moi et qui faisait l’important, en parlant avec l'accent lourd et zézayant de l'ouest. D'après ce que j’ai vu de ces jeunes gens de Gloucester, je ne crois pas qu’Harrison eût tenu bon pendant dix rounds, quand il était dans sa première jeunesse. Je suis arrivé hier par le coche de Bristol et le garde m'a dit qu'il avait quinze mille livres sonnant en or dans le coffre, qui avaient été envoyées pour miser sur notre homme. -- Ils auront de la chance s'il revient, leur argent, dit un autre. Harrison n'est pas une demoiselle au combat et il a de la race jusqu'à la moelle des os. Il ne reculerait pas quand même son adversaire serait aussi gros que Carlton House.

-- Peuh! répondit l'homme de L'Ouest. C'est seulement dans les pays de Bristol et de Gloucester que l’on trouve les hommes capables de battre ceux des pays de Bristol et de Gloucester.

-- Vous avez un fameux toupet de parler ainsi, dit une voix irritée dans la foule qui se trouvait derrière lui. Il y a six hommes de Londres qui se chargeraient de démolir douze de ceux qui nous arrivent de l'Ouest.

L'affaire aurait peut-être débuté par un engagement impromptu entre le cockney indiqué et le gentleman venu de Bristol, si un tonnerre d’applaudissements n'était pas venu couper court à leur altercation.

Ces applaudissements étaient dus à l'apparition sur le ring de Wilson le Crabe, suivi de Sam le Hollandais et de Mendoza, qui portaient le bassin, l'éponge, la vessie à eau-de-vie et autres insignes de leur office.

Dès qu'il fut entré, Wilson le Crabe défit le foulard jaune serin qui lui ceignait les reins et l'attacha à un des poteaux des angles où le foulard resta agité par la brise.

Ensuite ses seconds lui remirent un paquet de petits rubans de la même couleur et faisant le tour du ring, il les offrit comme souvenir de lutte aux Corinthiens, au prix d'un shilling la pièce.

Son petit commerce, qui marchait fort bien, ne fut interrompu que par l'arrivée d'Harrison qui entra posément, tranquillement, en enjambant les cordes ainsi qu'il convenait à son âge plus mûr et à ses articulations moins souples.

Les cris qui l'accueillirent furent plus enthousiastes encore que ceux qui avaient salué Wilson, et ils exprimaient une admiration plus profonde, car la foule avait déjà eu le temps de voir le physique de Wilson, tandis que celui d'Harrison était une nouveauté pour elle.

J'avais souvent contemplé les bras et le cou du puissant forgeron, mais je ne l'avais jamais vu nu jusqu'à la ceinture.

Je n'avais point compris la merveilleuse symétrie de développement qui avait fait de lui, dans sa jeunesse, le modèle favori des sculpteurs de Londres.

Ce n'était plus du tout cette peau lisse, blanche, ces jeux de lumière sur les saillies des muscles qui faisaient de Wilson un coup d'oeil si agréable.

Au lieu de cela, on se trouvait en présence d'une grandeur rudement taillée, d'un enchevêtrement de muscles noueux.

On eût dit les racines d'un vieux chêne se tordant pour aller de la poitrine à l'épaule et de l'épaule au coude.

Même quand il était au repos, le soleil jetait des ombres sur les courbes de sa peau. Mais quand il faisait un effort, chaque muscle faisait saillir ses faisceaux en masses distinctes et nettes et faisait de son corps un amas de noeuds et d'aspérités.

La peau de sa figure et de son corps était d'une teinte plus foncée, d'un grain plus serré que celle de son adversaire plus jeune, mais il paraissait avoir plus de résistance, de dureté et cette apparence était encore plus marquée par la couleur plus sombre de ses bas et de ses culottes.

Il entra dans le ring en suçant un citron, suivi de Jim Belcher et de Caleb Baldwin le fruitier.

Il se dirigea vers le poteau et noua son foulard gorge de pigeon par-dessus le foulard jaune de l'homme de l'Ouest et enfin se dirigea vers son adversaire la main tendue.

Jim Harrison, boxeur Page 65

Arthur Conan Doyle

Scottish Authors

Free Books in the public domain from the Classic Literature Library ©

Sir Arthur Conan Doyle
Classic Literature Library
Classic Authors

All Pages of This Book