-- J'espère que vous allez bien, Wilson? dit-il.

-- Pas trop mal merci, répondit l'autre. Nous nous parlerons sur un autre ton, j'espère, avant de nous quitter.

-- Mais sans rancune, dit le forgeron.

Et les deux hommes échangèrent un ricanement avant de se placer dans leurs coins.

-- Puis-je demander, monsieur le juge, si ces deux hommes ont été pesés? demanda Sir Lothian Hume, debout dans l'enceinte extérieure.

-- Ils viennent d'être pesés sous mes yeux, monsieur, répondit Mr Craven. Votre homme a fait baisser le plateau à treize stone trois et Harrison a treize huit.

-- C'est un homme de quinze stone, depuis la taille jusqu'à la tête, s'écria Sam le Hollandais de son coin.

-- Nous lui en ferons perdre un peu avant la fin.

-- Vous en recevrez plus de lui que vous n'en avez jamais acheté, répliqua Jim Belcher.

Et la foule de rire à ces rudes plaisanteries.

XVIII -- LA DERNIÈRE BATAILLE DU FORGERON

-- Qu'on quitte le ring extérieur! cria Jackson, debout près des cordes, une grosse montre d'argent à la main.

-- Swhack! Swhack! Swhack! firent les cravaches, car un certain nombre de spectateurs, les uns jetés en avant par la poussée de derrière, les autres prêts à risquer un peu de douleur physique pour avoir une chance de mieux voir, s'étaient glissés sous les cordes et formaient une rangée irrégulière en dedans de l'enceinte extérieure.

Maintenant, parmi les rires bruyants de la foule, sous une averse de coups portés par les gardes, ils faisaient de furieux plongeons en arrière, avec la précipitation maladroite de moutons effrayés qui cherchent à passer par une brèche de leur parc.

Leur situation était embarrassante, car les gens placés en avant refusaient de reculer d'un pouce, mais les arguments qu'ils recevaient par derrière finirent par avoir le dessus et les derniers fugitifs étaient rentrés, tout effarouchés, dans les rangs, pendant que les gardes reprenaient leurs postes sur les bords, à intervalles égaux, leurs cravaches le long de la cuisse.

-- Gentlemen, cria de nouveau Jackson, je suis requis de vous informer que le champion désigné par Sir Charles Tregellis est Jack Harrison luttant pour le poids de treize stone huit et celui de sir Lothian Hume est Wilson le Crabe, de treize trois. Personne ne doit rester dans l'enceinte extérieure à l'exception du juge et du chronométreur. Il ne me reste plus qu'à vous prier, si l’occasion l'exige, de me donner votre concours pour tenir le terrain libre, éviter la confusion et veiller à la loyauté du combat. Tout est prêt?

-- Tout est prêt, cria-t-on des deux coins.

-- Allez.

Pendant un instant, tout le monde se tut, tout le monde cessa de respirer, lorsque Harrison, Wilson, Belcher et Sam le Hollandais se dirigèrent d'un pas rapide vers le centre du ring.

Les deux hommes se donnèrent une poignée de main. Les seconds en firent autant. Les quatre mains se croisèrent.

Puis les seconds se retirèrent en arrière.

Les deux hommes restèrent face-à-face, pied contre pied, les mains levées.

C'était un spectacle magnifique pour quiconque n'était pas dépourvu de l'instinct qui fait apprécier la plus noble des oeuvres de la nature.

Chacun de ces deux hommes répondait à la condition qui fait l'athlète puissant, celle de paraître plus grand sans ses vêtements qu'avec eux.

Dans le jargon du ring, ils bouffaient bien.

Et chacun d'eux faisait ressortir les traits caractéristiques de l’autre par les contrastes avec les siens propres: l’adolescent allongé, aux membres déliés, aux pieds de daim, et le vétéran trapu, rugueux, dont le tronc ressemblait à une souche de chêne.

La cote se mit à monter en faveur du jeune homme à partir du moment où ils furent mis en présence, car ses avantages étaient bien apparents, tandis que les qualités, qui avaient élevé si haut Harrison dans sa jeunesse, n'étaient plus qu'un souvenir resté aux anciens.

Tout le monde pouvait voir les trois pouces de supériorité dans la taille et les deux pouces de plus dans la longueur des bras, et il suffisait de remarquer le mouvement rapide, félin, des pieds, le parfait équilibre du corps sur les jambes, pour juger avec quelle promptitude Wilson pouvait bondir sur son adversaire plus lent ou lui échapper.

Mais il fallait un instinct plus pénétrant, pour interpréter le sourire farouche qui voltigeait sur les lèvres du forgeron ou la flamme secrète qui brillait dans ses yeux gris.

Seuls les gens d’autrefois savaient qu’avec son coeur puissant et sa charpente de fer, c’était un homme contre lequel il était dangereux de parier.

Wilson se tenait dans la position qui lui avait valu son surnom, sa main et son pied gauche bien en avant, son corps penché très en arrière de ses reins, sa garde placée en travers de sa poitrine, mais tenue assez en avant pour qu'il fût extrêmement difficile d’aller au-delà.

De son côté, le forgeron avait pris l’attitude tombée en désuétude qu'avaient introduite Humphries et Mendoza, mais qui ne s’était pas revue depuis dix ans dans une lutte de première classe.

Ses deux genoux étaient légèrement fléchis, il se présentait bien carrément à son adversaire et tenait ses deux poings bruns par- dessus sa marque, de manière à pouvoir lancer l'un ou l'autre à son gré.

Les mains de Wilson, qui se mouvaient incessamment en dedans et au dehors, avaient été plongées dans quelque liquide astringent, afin de les empêcher de s'enfler, et elles contrastaient si vivement avec la blancheur de ses avant-bras, que je crus qu'il portait des gants de couleur foncée et très collants, jusqu'au moment où mon oncle m'expliqua la chose à voix basse.

Ils étaient ainsi face-à-face au milieu d'un frémissement d'attention et d'expectative, pendant que l'immense multitude suivait les moindres mouvements, silencieuse, haletante, à ce point qu'ils eussent pu se croire seuls, homme à homme, au centre de quelque solitude primitive.

Il parut évident, dès le début, que Wilson le Crabe était décidé à ne négliger aucune chance, qu'il s'en rapporterait à la légèreté de ses pieds, à l'agilité de ses mains, jusqu'au moment où il comprendrait quelque chose à la tactique de son adversaire.

Il tourna plusieurs fois autour de lui, à petits pas rapides, menaçants, tandis que le forgeron pivotait lentement sur lui-même, réglant ses mouvements en conséquence.

Alors, Wilson fit un pas en arrière, pour engager Harrison à rompre et à le suivre.

L'ancien sourit et secoua la tête.

-- Il faut que vous veniez à moi, mon garçon, dit-il, je suis trop vieux pour vous faire la chasse tout autour du ring, mais nous avons la journée devant nous, et j'attendrai.

Il ne s'attendait pas peut-être à recevoir aussi promptement une réponse à son invitation, car en un instant, l'homme de l'Ouest bondissant comme une panthère fut sur lui.

-- Pan! Pan! Pan!

Puis des coups sourds se succédèrent.

Les trois premiers tombèrent sur la figure d'Harrison, les deux derniers s'appliquèrent rudement sur son corps.

Et d'un pas de danseur, le jeune homme recula, se dégagea d'un style superbe, mais non sans remporter deux coups qui marquèrent en rouge vif le bas de ses côtes.

Jim Harrison, boxeur Page 66

Arthur Conan Doyle

Scottish Authors

Free Books in the public domain from the Classic Literature Library ©

Sir Arthur Conan Doyle
Classic Literature Library
Classic Authors

All Pages of This Book