-- Premier sang pour Wilson! cria la foule.

Et comme le forgeron tournait pour faire face aux mouvements de son agile adversaire, je frissonnai en voyant son menton empourpré et dégouttant.

Et Wilson revint à la marque avec une feinte et lança un coup à toute volée sur la joue d'Harrison, puis, parant le coup droit que lui portait le poing vigoureux du forgeron, il termina le round par une glissade sur le gazon.

-- Premier knock-down pour Harrison! hurlèrent des milliers de voix, car deux fois autant de milliers de livres pouvaient changer de main selon le jugement rendu.

-- J'en appelle au juge, s'écria Sir Lothian Hume, c'était une glissade et non un knock-down.

-- Je juge que c'était une glissade, dit Berkeley Craven.

Et les deux adversaires se rendirent dans leur coin au milieu d'applaudissements unanimes pour leur premier round plein d'ardeur et bien disputé. Harrison fouilla dans sa bouche avec son pouce et son index et d'un mouvement de torsion rapide arracha une dent qu'il jeta dans le bassin.

-- Tout à fait comme jadis, dit-il à Belcher.

-- Prenez garde, Jack, dit le second anxieux. Vous avez reçu un peu plus que vous n'avez donné.

-- Je peux en porter davantage, dit-il avec sérénité, pendant que Caleb Baldwin passait sur la figure la grosse éponge.

Le fond brillant de la cuvette de fer blanc cessa brusquement de paraître à travers l’eau.

Je puis m’apercevoir, d'après les commentaires que faisaient autour de moi les Corinthiens expérimentés et d'après les remarques de la foule placée derrière moi, qu'on regardait les chances d'Harrison comme diminuées par ce round.

-- J'ai vu ses défauts de jadis et je n'ai pas vu ses qualités de jadis, dit Sir John Lade, notre concurrent sur la route de Brighton. Il est aussi lent que jamais sur ses pieds et dans sa garde. Wilson l'a touché autant qu'il a voulu.

-- Wilson peut le toucher trois fois pendant qu'il sera lui-même touché une fois, mais cette fois-là vaudra trois de Wilson, remarqua mon oncle. C'est un lutteur de nature, tandis que l'autre est expert aux exercices, mais je ne retire pas une guinée.

Un silence soudain fit comprendre que les deux hommes étaient de nouveau face-à-face. Les seconds s'étaient si habilement acquittés de leur tâche, que ni l'un ni l'autre ne paraissait avoir souffert de ce qui s'était passé.

Wilson prit malicieusement l’offensive avec le gauche, mais ayant mal jugé la distance, il reçut en réponse un coup écrasant dans l’estomac qui l’envoya chancelant et la respiration coupée sur les cordes.

-- Hurrah pour le vieux! hurla la foule.

Mon oncle se mit à rire et à taquiner Sir John Lade.

L’homme de l’Ouest sourit, se secoua comme un chien qui sort de l’eau et, d’un pas furtif, revint vers le centre du ring, où son adversaire restait debout.

Et la main droite alla s'appliquer une fois de plus sur la marque du Crabe, mais Wilson amortit le coup avec son coude et fil un bond de côté en riant.

Les deux hommes étaient un peu essoufflés et leur respiration rapide, profonde, mêlant son bruit à leur léger piétinement pendant qu'ils tournaient l'un autour de l'autre, faisait un bruit uniforme et à long rythme.

Deux coups portés simultanément de chaque côté avec la main gauche, se heurtèrent avec une sorte de détonation comme un coup de pistolet, et alors, comme Harrison se lançait en avant pour une attaque, Wilson le fit glisser et mon vieil ami tomba la face en avant, tant par l'effet de son élan que par celui de sa vaine attaque, non sans recevoir au passage sur son oreille un coup à toute volée du bras à demi ployé de l’homme de l'Ouest.

-- Knock-down pour Wilson! cria le juge auquel répondit un grondement pareil à une bordée d'un vaisseau de soixante-quatorze canons.

Les Corinthiens lancèrent en l’air par centaines leurs chapeaux à bords contournés et toute la pente qui s'étendait devant nous fut comme une grève de faces rouges et hurlantes.

Mon coeur était paralysé par la crainte.

Je sursautais à chaque coup et pourtant je me sentais en proie à une fascination toute puissante, à un frisson de joie farouche, à une certaine exaltation de notre banale nature, que je voyais capable de s'élever au-dessus de sa douleur et de la crainte, rien que par un effort pour conquérir la plus humble des gloires.

Belcher et Baldwin s'étaient élancés sur leur homme, mais, malgré la froideur avec laquelle le forgeron accueillit son châtiment, les gens de l'Ouest manifestèrent un enthousiasme immense.

-- Nous le tenons, il est battu, il est battu! criaient les deux seconds juifs. Cent contre un sur Gloucester!

-- Battu? Croyez-vous? dit Belcher. Vous ferez bien de louer ce champ avant que vous veniez à le battre, car il peut tenir un mois contre ces coups de chasse-mouches.

Tout en parlant, il agitait une serviette devant la figure d'Harrison pendant que Baldwin la lui essuyait avec l'éponge.

-- Comment cela va-t-il, Harrison? demanda mon oncle.

-- Joyeux comme un cabri, Monsieur. C'est aussi beau que le jour.

Cette réponse pleine d'entrain avait un tel accent de gaieté que les nuages disparurent du front de mon oncle. -- Vous devriez recommander à votre homme plus d'initiative, Tregellis, dit Sir John Lade. Il ne gagnera jamais, il n'attaque pas.

-- Il en sait plus que vous ou moi sur le jeu, Lade. Je préfère le laisser agir à son gré.

-- La cote est maintenant contre lui à trois contre un, dit un gentleman que sa moustache grise désignait comme un officier de la dernière guerre.

-- C'est très vrai, général Fitzpatrick, mais vous remarquerez que ce sont les jeunes gens qui donnent une cote élevée et que ce sont les vieux qui l'acceptent.

Je m'en tiens à mon opinion.

Les deux hommes furent bientôt aux prises avec entrain; dès qu'on jeta le cri de: Allez!

Le forgeron avait le côté gauche de la tête un peu bossue, mais il avait toujours son sourire bonhomme et pourtant menaçant.

Quant à Wilson il paraissait absolument tel qu'il était au début, mais deux fois, je le vis se mordre les lèvres comme pour réprimer un soudain spasme de douleur, et les ecchymoses qu'il avait sur les côtes passaient du rouge vif au pourpre foncé.

Il tenait sa garde un peu plus bas pour défendre ce point vulnérable et voltigeait autour de son adversaire avec une agilité propre à prouver que sa respiration n'avait pas souffert des coups portés à la poitrine.

De son côté, le forgeron persévérait dans la tactique défensive par où il avait commencé.

On nous avait rapporté de l'Ouest bien des choses sur la finesse du jeu de Wilson, sur la rapidité de ses coups, mais la réalité était au-dessus de ce que nous savions de lui.

Dans ce round et les deux suivants, il fit preuve d'une agilité et d'une justesse qui n'avaient jamais été surpassées même par Mendoza au temps de sa pleine force.

Il se portait en avant, en arrière, avec la rapidité de l'éclair.

Ses coups s'entendaient et se sentaient avant qu'on les vît.

Mais Harrison les recevait tous avec le même sourire obstiné, ripostait de temps à autre par un coup vigoureux en plein corps, car avec sa haute taille et son attitude, son adversaire s'arrangeait pour tenir sa figure hors d'atteinte.

Jim Harrison, boxeur Page 67

Arthur Conan Doyle

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