À la fin du cinquième round les paris étaient à quatre contre un et les gens de l'Ouest exultaient bruyamment.

-- Qu'en dites-vous maintenant? s'écria l'homme de l'Ouest qui était derrière moi.

Il était tellement excité qu’il ne pouvait plus que répéter:

-- Qu'en dites-vous maintenant?

Lorsque dans le sixième round le forgeron reçut deux coups sans arriver à riposter par un coup qui comptât, que, par-dessus le marché, il fit une chute, mon homme ne put que jeter des sons inarticulés et des cris de joie, tant il était enthousiasmé. Sir Lothian Hume souriait et balançait la tête, pendant que mon oncle restait froid, impassible, et pourtant je savais qu'il souffrait autant que moi.

-- Cela ne marche pas, Tregellis, dit le général Fitzpatrick. Mon argent est sur le vieux, mais le jeune est meilleur boxeur.

-- Mon homme est un peu passé, répondit mon oncle, mais il finira par avoir le dessus.

Je vis que Belcher et Baldwin avaient l'air grave et je compris qu'un changement de quelque sorte devenait nécessaire pour couper court à cette vieille histoire des jeunes et des anciens.

Toutefois, le septième round fit apparaître la réserve de force qu'il y avait chez le vieux et brave boxeur et s'allonger les figures de ces faiseurs de paris qui s'étaient figuré qu'en somme la lutte était terminée et que quelques rounds suffiraient pour donner au forgeron le coup de grâce.

Lorsque les deux hommes étaient face-à-face, il était évident que Wilson avait pris le parti d'agir par la ruse, qu'il entendait forcer l'autre au combat et se maintenir sur l’offensive qu'il avait prise.

Mais il y avait toujours dans les yeux du vétéran cette lueur grise et toujours sur sa rude figure ce même sourire.

Il avait aussi pris une sorte de coquetterie dans les mouvements d’épaules, dans le port de tête, et je sentis revenir ma confiance en voyant de quelle façon il se carrait devant son homme.

Wilson attaqua avec la main gauche, mais il n'alla pas assez loin, et il évita un rude coup de la main droite qui passa en sifflant près de ses côtes.

-- Bravo, vieux, s'écria Belcher. Un de ces coups, s'il arrive à destination, vaudra une dose de laudanum.

Il y eut un temps d'arrêt pendant lequel les pieds s'agitèrent, le souffle pénible se fît entendre, interrompu par un grand coup de Wilson en plein corps, coup que le forgeron arrêta avec le plus grand sang-froid.

Mais, il y eut encore quelque temps de tension silencieuse.

Wilson attaqua malicieusement à la tête, mais Harrison reçut le choc sur son avant-bras en souriant, et faisant signe de la tête à son adversaire.

-- Ouvrez la poivrière, hurla Mendoza.

Et Wilson s'élança pour obéir à ces instructions, mais il fut repoussé avec des coups vigoureux en pleine poitrine.

-- Voilà le moment, allez-y vivement, cria Belcher.

Et le forgeron, s'élançant en avant, fit pleuvoir une grêle de coups de bras à demi ployé, jusqu'à ce qu'enfin Wilson le Crabe, n'en pouvant plus, se retirât dans son coin.

Les deux hommes avaient des marques à montrer, mais Harrison avait définitivement le dessus dans l’offensive.

Ce fut alors à nous de lancer nos chapeaux en l'air, et de nous enrouer à force de crier pendant que les seconds donnaient à notre homme des claques dans son large dos en le ramenant dans son coin.

-- Qu'en dites-vous maintenant? criaient tous les voisins de l'homme de l'Ouest en répétant son propre refrain.

-- Eh bien! Sam le Hollandais n'a jamais mieux repris l'offensive, s'écria Sir John Lade. Où en est la cote en ce moment, Sir Lothian?

-- J'ai joué tout ce que je voulais jouer, mais je ne crois pas que mon homme puisse perdre.

Mais le sourire n'en avait pas moins disparu de sa figure et je remarquai qu'il ne cessait de regarder par-dessus son épaule du côté de la foule.

Un nuage d'un rouge livide arrivait lentement du sud-ouest, je puis pourtant dire que parmi les trente mille spectateurs, il y en avait fort peu qui eussent du temps et de l'attention de reste pour s'en apercevoir.

Mais sa présence se manifesta soudain par quelques grosses gouttes de pluie qui finirent bientôt en averse abondante, remplissant l'air de ses sifflements et faisant un bruit sec sur les chapeaux hauts et durs des Corinthiens.

Les collets d'habits furent relevés, les mouchoirs furent noués autour du cou, pendant que la peau des deux hommes ruisselait d'humidité et qu'ils se tenaient debout face-à-face.

Je remarquai que Belcher, d'un air très sérieux, murmura quelques mots à l'oreille d'Harrison, qui se levait de dessus ses genoux, que le forgeron faisait de la tête un signe d'assentiment, de l'air d'un homme qui comprend et approuve les recommandations qu'il reçoit. Et on vit aussitôt quels avaient été ces conseils.

Harrison allait faire succéder l'attaque à la défense.

Le résultat du repos après le dernier round avait convaincu les seconds que leur champion, avec son endurance et sa vigueur, devait avoir le dessus quand il s'agissait de recevoir et de rendre des coups.

Et alors, pour achever l'affaire, survint la pluie.

Le gazon devenu glissant, neutralisait l'avantage que donnait à Wilson son agilité et il allait éprouver plus de difficulté à esquiver les attaques impétueuses de son adversaire.

L'art du ring consiste à tirer parti de circonstances de ce genre et plus d'un second vigilant a fait gagner à son homme une bataille presque perdue.

-- Allez-y, allez-y donc! hurlèrent ses deux seconds pendant que tous les parieurs pour Harrison répétaient leurs cris à travers la foule.

Et Harrison y alla de telle sorte qu'aucun de ceux qui le virent ne devaient l'oublier.

Wilson le Crabe, aussi obstiné qu'une pierre, le recevait chaque fois d'un coup lancé à la volée, mais il n'y avait pas de force, pas de science humaine qui parût capable de faire reculer cet homme de fer.

En des rounds qui se suivirent sans interruption, il se fraya passage par des coups retentissants, comme des claques, du poing droit et du gauche, et chaque fois qu'il touchait, il cognait avec une puissance formidable.

Parfois il se couvrait la figure avec la main gauche, quand d'autres fois, il négligeait toute précaution, mais ses coups avaient un ressort irrésistible.

L'averse continuait à les fouetter. L'eau coulait à flots de leur figure et se répandait en filets rouges sur leur corps, mais ni l'un ni l'autre n'y prenaient garde, si ce n'est dans le but de manoeuvrer de façon à ce qu'elle tombât sur les yeux de l'antagoniste. Mais après une série de rounds, le champion de l'Ouest faiblit.

Après cette série de rounds, la cote monta de notre côté et dépassa le chiffre le plus élevé qu'elle eût atteint jusqu'alors en sens inverse.

Le coeur défaillant dans la pitié et l'admiration que m'inspiraient ces deux vaillants hommes, je souhaitais avec ardeur que chaque assaut fût le dernier.

Et pourtant, à peine Jackson avait il crié: «Allez!» que tous deux s'élançaient des genoux de leurs seconds, le rire sur leurs figures abîmées et la blague sur leurs lèvres saignantes.

C'était là peut-être une humble leçon de choses, mais je vous en donne ma parole, plus d'une fois dans ma vie, je me suis contraint à accomplir une tâche pénible, en rappelant à mon souvenir cette matinée des Dunes de Crawley.

Jim Harrison, boxeur Page 68

Arthur Conan Doyle

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