Mon oncle me toucha l'épaule et nous allions partir, lorsque Ambroise, ayant remis le masque de bronze sur ses ardentes passions, s'approcha de lui avec respect.

-- Je vous demande pardon, Sir Charles, mais je suis très choqué de voir votre cravate...

-- Vous avez raison, Ambroise, Lorimer fait de son mieux, mais je n'ai jamais pu trouver quelqu'un qui vous remplace.

-- Je serais fier de vous servir, monsieur. Mais vous devez reconnaître que Lord Avon a des droits antérieurs. S'il consent à me rendre ma liberté...

-- Vous pouvez partir, Ambroise, vous le pouvez. Vous êtes un excellent serviteur, mais votre présence m'est devenue pénible.

-- Je vous remercie, Ned, dit mon oncle. Mais vous, Ambroise, il ne faudra pas me quitter aussi brusquement.

-- Permettez-moi de vous expliquer le motif, monsieur. J'étais décidé à vous prévenir de mon départ quand nous serions arrivés à Brighton, mais ce soir-là, comme nous sortions du village, j'ai vu passer dans un phaéton une dame dont je connaissais fort bien les relations intimes avec Lord Avon, sans être certain que c'était sa femme. Sa présence en cet endroit me confirma dans la conviction qu'il se cachait à la Falaise royale. Je descendis furtivement de votre voiture, je la suivis aussitôt dans le but de lui exposer l'affaire et de lui expliquer combien il était nécessaire que Lord Avon me vit.

-- Eh bien, je vous pardonne votre désertion, dit mon oncle, et je vous serais fort obligé si vous vouliez bien, de nouveau, arranger ma cravate.

XXII -- DÉNOUEMENT

La voiture de Sir James Ovington attendait dehors.

La famille Avon, si tragiquement dispersée, si singulièrement réunie, y monta pour se rendre sous le toit hospitalier du Squire.

Lorsqu'ils furent sortis, mon oncle monta en voiture et nous reconduisit, Ambroise et moi, au village.

-- Il est préférable de voir votre père tout de suite, mon neveu. Sir Lothian et son homme sont déjà en route depuis quelque temps. Je serais désolé qu'il y ait quelque malentendu dans notre rencontre.

De mon côté je pensais à la terrible réputation de notre adversaire comme duelliste. Sans doute ma figure laissa voir mes sentiments, car mon oncle se mit à rire.

-- Eh bien! mon neveu, dit-il, on dirait que vous marchez derrière mon cercueil. Ce n'est pas ma première affaire et je pense bien que ce ne sera pas ma dernière. Quand je me bats aux environs de la ville, j'ai l'habitude d'aller tirer une centaine de balles dans l'arrière-boutique de Manton, et je puis dire que je suis en état de trouver la route jusqu'à son gilet. Toutefois je confesse que je suis un peu accablé de tout ce qui est arrivé. Penser que mon cher vieil ami est non seulement vivant, mais innocent! Et qu'il a, pour continuer la race des Avon, un si beau gaillard de fils et d'héritier! Voilà qui donnera le coup de grâce à Hume, car je sais que les Juifs lui ont donné de la marge à raison de ses espérances. Et vous, Ambroise, dire que vous avez fait irruption de cette façon-là!

Parmi toutes les choses extraordinaires qui étaient arrivées, il semblait que ce fût celle-là qui ait fait la plus forte impression sur mon oncle, car il y revint à maintes reprises.

Cet homme, qu'il avait fini par regarder comme une machine à faire les noeuds de cravate et à remuer le chocolat, s'était montré animé de passions.

C'était un prodige dont il ne revenait pas.

Si son réchaud à rasoirs avait mal tourné, il n'en eut pas été plus ébahi.

Nous étions à quelques centaines de yards du cottage, lorsque nous vîmes le long Mr Corcoran, l'homme à l’habit vert, arpentant l'allée du jardin.

Mon oncle nous attendait à la porte avec un air de ravissement contenu.

-- Je suis heureux de vous être utile, de n'importe quelle manière, Sir Charles. Nous avons arrangé cela pour demain à sept heures dans le communal de Ditchling.

-- Je ne serais pas fâché que l'on puisse remettre ces petites affaires à une heure plus tardive, dit mon oncle. On est obligé de se lever à une heure tout à fait absurde ou de négliger sa toilette.

-- Ils s'arrêtent sur la route à l'auberge de Friar's Oak, et si vous teniez à ce que cela ait lieu plus tard...

-- Non, non, je ferai cet effort, Ambroise, vous apporterez la batterie de toilette à sept heures.

-- Je ne sais pas si vous tiendrez à vous servir de mes aboyeurs, dit mon père. Je m'en suis servi dans quinze engagements et à la distance de trente yards, vous auriez peine à trouver meilleur outil.

-- Je vous remercie, j'ai mes pistolets de duel sous le siège. Ambroise, veillez à ce que les chiens soient huilés, car j'aime une détente légère. Ah! ma soeur Mary, je vous ramène votre garçon qui ne s'en trouve pas plus mal, je l'espère, après les distractions de la ville.

Je n'ai pas besoin de vous dire que ma pauvre mère me couvrit de pleurs et de caresses, car vous qui avez des mères, vous en savez autant que moi, et vous qui n'en avez pas, vous ne saurez jamais combien la maison de famille est un nid chaud et confortable.

Comme je m'étais agité et démené pour voir les merveilles de la ville! Et maintenant que j'en avais vu plus que je n'eusse rêvé dans mes songes les plus extravagants, mes yeux ne trouvaient rien qui me donnât une plus grande impression de douceur et de repos que notre petit salon, avec ses bibelots, en eux-mêmes objets insignifiants mais si riches en souvenirs, le poisson souffleur des Moluques, la corne de narval de l'Arctique, et la gravure du Ça Ira poursuivi par Lord Hotham.

Et comme c'était égayant de voir aussi d'un côté du foyer flambant, mon père avec sa pipe et sa bonne figure rouge et ma mère tournant et piquant ses aiguilles à tricoter.

En les contemplant, je me demandais comment je pouvais avoir ce grand désir de les quitter ou comment je prendrais sur moi de les quitter de nouveau.

Mais il faudrait bien les quitter et à bref délai comme je l'appris avec les bruyantes félicitations de mon père et les larmes de ma mère.

Il avait été nommé au commandement du Caton, vaisseau de soixante-quatre canons, pendant qu'un billet de Lord Nelson daté de Portsmouth, m'informait qu'un poste vacant m'attendait si je me mettais en route tout de suite.

-- Et votre mère tient prêt votre coffre de marin, mon garçon. Vous pourrez faire le voyage demain avec moi, car si vous tenez à être un des hommes de Nelson, il faut lui prouver que vous êtes digne de lui.

-- Tous les Stone sont entrés dans la marine, dit ma mère à mon oncle, comme pour s'excuser, et c'est une grande chance pour lui d'y entrer sous le patronage de Lord Nelson. Mais nous n'oublierons jamais la bonté que vous avez eue, Charles, de montrer un peu le monde à Rodney.

-- Au contraire, ma soeur Mary, dit gravement mon oncle, votre fils a été pour moi une société très agréable, au point que je crains qu'on ait le droit de m'accuser de négligence envers Fidelio. Je vous le ramène, j'espère, un peu plus poli que je l'ai emmené. Ce serait folie que de le traiter de distingué, mais du moins il n'y a aucun reproche à lui faire. La nature lui a refusé les dons suprêmes.

Jim Harrison, boxeur Page 79

Arthur Conan Doyle

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