Il y avait en très grosse et très belle écriture:

« À sa Majesté

« Le roi de Suède

« Stockholm »

Je ne savais pas beaucoup de français, assez toutefois pour comprendre cela.

Quel était donc cette sorte d'aigle qui était venu se poser dans notre humble petit nid?

VII -- LA TOUR DE GARDE DE CORRIEMUIR

Ce serait un ennui pour moi, et aussi, j'en suis très certain, un ennui pour vous, si j'entreprenais de vous raconter le menu de notre existence depuis le jour où cet homme vint sous notre toit, ou de quelle façon il en vint à gagner peu à peu notre affection à tous.

Avec les femmes, ce ne fut pas une tâche bien longue, mais il ne tarda pas à dégeler mon père lui-même, chose qui n'était pas des plus aisées.

Il avait même fait la conquête de Jim Horscroft aussi bien que la mienne.

À vrai dire, nous n'étions guère, à côté de lui, que deux grands enfants, car il était allé partout, il avait tout vu, et quand il avait passé une soirée à jaser, en son anglais boiteux, il nous avait emportés bien loin de notre simple cuisine, de notre maisonnette rustique pour nous jeter au milieu des cours, des camps, des champs de bataille, de toutes les merveilles du monde.

Horscroft avait d'abord été assez maussade avec lui, mais de Lapp, par son tact, par l'aisance de ses manières, l'avait bientôt séduit, avait entièrement conquis son coeur, si bien que voilà Jim assis, tenant dans sa main, la main de la cousine Edie, et tous deux perdus dans l'intérêt qu'ils prenaient à écouter tous les récits qu'il nous faisait.

Je ne vais pas vous conter tout cela, mais aujourd'hui encore, après un si long intervalle, je pourrais vous dire comment, d'une semaine, d'un mois à l'autre, par telle ou telle parole, telle ou telle action, il arriva à nous rendre tels qu’il voulait.

Un de ses premiers actes fut de donner à mon père le canot dans lequel il était venu, en ne se réservant que le droit de le reprendre s'il venait à en avoir besoin.

Les harengs vinrent fort près de la côte cette année-là, et avant sa mort mon oncle nous avait donné un bel assortiment de filets, de sorte que ce présent nous rapporta bon nombre de livres.

Quelquefois, de Lapp s'y embarquait seul, et je l'ai vu pendant tout un été ramant lentement, s'arrêtant tous les cinq ou six coups de rame, pour jeter une pierre attachée au bout d'une corde.

Je ne compris rien à sa conduite jusqu'au jour où il me l'expliqua de son propre gré.

-- J'aime à étudier tout ce qui a du rapport aux choses de la guerre, dit-il, et je n'en laisse jamais échapper une occasion. Je me demandais s'il serait difficile à un commandant de corps d'armée d'opérer un débarquement ici.

-- Si le vent ne venait pas de l'Est, dis-je.

-- Oui, s'est bien cela, si le vent ne venait pas de l'Est. Avez- vous pris des sondages ici?

-- Non.

-- Votre ligne de vaisseaux de guerre serait forcée de se tenir au large, mais il y a ici assez d'eau pour qu'une frégate de quarante canons puisse approcher jusqu'à portée de fusil. Bondez vos canots de tirailleurs, déployez-les derrière ces dunes de sable, puis soutenez-les en en lançant encore d'autres, lancez des frégates une pluie de mitraille par-dessus leurs têtes. Cela pourrait se faire! Cela pourrait se faire.

Ses moustaches raides comme celles d'un chat se hérissèrent plus que jamais, et je pus voir à l'éclat de son regard qu'il était emporté par ses rêves.

-- Vous oubliez que nos soldats seraient sur la plage, dis-je avec indignation.

-- Ta! Ta! Ta! s'écria-t-il, naturellement pour une bataille, il faut être deux. Voyons maintenant, raisonnons la chose. Combien d'hommes pouvez-vous mettre en ligne? Dirons-nous vingt mille, trente mille? Quelques régiments de bonnes troupes, le reste! Peuh! Des conscrits, des bourgeois armés. Comment appelez-vous ça? Des volontaires?

-- Des gens courageux, criai je.

-- Oh oui, très braves, mais des imbéciles. Ah! mon Dieu! on ne saurait dire à quel point ils seraient imbéciles. Non pas eux seulement, mais toutes les jeunes troupes. Elles ont tellement peur d'avoir peur, qu'elles ne prendraient aucune précaution. Ah! j'ai vu cela. En Espagne, j'ai vu un bataillon de conscrits attaquer une batterie de dix pièces: il fallait voir comme ils avançaient bravement, si bien que de l'endroit, où je me trouvais, la montée avait l'air... comment appelez-vous cela en anglais?... avait l'air d'une tarte aux framboises. Et notre beau bataillon de conscrits, qu'était-il devenu? Puis un autre bataillon de jeunes troupes tenta l'assaut. Ils partirent au pas de course, criant, hurlant, tous ensemble, mais que peuvent faire des cris contre une décharge de mitraille? Aussi voilà votre second bataillon étendu sur la pente. Alors ce sont les chasseurs à pied de la garde, de vieux soldats, à qui l’on dit de prendre la batterie: à les voir marcher, ce n’était guère captivant, pas de colonne, pas de cris, personne de tué. Tout juste une ligne de tirailleurs disséminés, avec des pelotons de soutien, mais au bout de dix minutes, les batteries était réduites au silence; et les artilleurs espagnols taillés en pièces: La guerre, mon jeune ami, c'est une chose qui s'apprend, tout comme l'élevage des moutons.

La Grande Ombre Page 24

Arthur Conan Doyle

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