Cela leur fera du bien.

-- Ils en apprendront assez, avant que la journée soit finie, répondit l'adjudant.

Mais à ce moment, le colonel Reynell vit que les carabiniers et le 52ème étaient couchés à droite et à gauche de nous, de sorte qu'il nous commanda de nous étendre aussi à terre. Nous fûmes rudement contents, lorsque nous pûmes entendre les projectiles passer, en hurlant comme des chiens affamés, par-dessus notre dos à quelques pieds de hauteur.

Même alors un bruit sourd, un éclaboussement presque à chaque minute, puis un cri de douleur, un trépignement de bottes sur le sol, nous apprenaient que nous subissions de grosses pertes.

Il tombait une pluie fine.

L'air humide maintenait la fumée près de terre: aussi nous ne pouvions voir que par intervalles ce qui se passait juste devant nous, bien que le grondement des canons nous montra que la bataille était engagée sur toute la ligne.

Quatre cents pièces tournaient alors ensemble, et faisaient assez de bruit pour nous briser le tympan.

En effet, il n'y eut pas un de nous à qui il ne resta un sifflement dans la tête pendant bien des jours qui suivirent.

Juste en face de nous, sur la pente de la hauteur, il y avait un canon français et nous distinguions parfaitement les servants de cette pièce.

C'était de petits hommes agiles, avec des culottes très collantes, de grands chapeaux, avec de grands plumets raides et droits, mais ils travaillaient comme des tondeurs de moutons, ne faisant que bourrer, passer l'écouvillon, et tirer.

Ils étaient quatorze quand je les vis pour la première fois.

La dernière, ils n'étaient plus que quatre, mais ils travaillaient plus activement que jamais.

La ferme qu'on appelle Hougoumont était en bas, en face de nous.

Pendant toute la matinée, nous pûmes voir qu'il s'y livrait une lutte terrible, car les murs, les fenêtres, les haies du verger n'étaient que flammes et fumée et il en sortait des cris et des hurlements tels que je n'avais jamais rien entendu de pareil jusqu'alors.

Elle était à moitié brûlée, tout éventrée par les boulets.

Dix mille hommes martelaient ses portes, mais quatre cents soldats de la garde s'y maintinrent pendant la matinée, deux cents pendant la soirée, et pas un Français n'en dépassa le seuil.

Mais comme ils se battaient, ces Français!

Ils ne faisaient pas plus de cas de leur vie que de la boue dans laquelle ils marchaient.

Un d'eux -- je crois le voir encore -- un homme au teint hâlé, assez repus, et qui marchait avec une canne, s'avança en boitant, tout seul, pendant une accalmie de la fusillade, vers la porte latérale de Hougoumont, où il se mit à frapper, en criant à ses hommes de les suivre.

Il resta là cinq minutes, allant et venant devant les canons de fusil qui l'épargnaient, jusqu'à ce qu'enfin un tirailleur de Brunswick, posté dans le verger, lui cassa la tête d'un coup de feu.

Et il y en eut bien d'autres comme lui, car pendant toute la journée, quand ils n'arrivaient pas en masses, ils venaient par deux, par trois, l'air aussi résolu que s'ils avaient toute l'armée sur leurs talons.

Nous restâmes ainsi tout le matin, à contempler la bataille qui se livrait là-bas à Hougoumont; mais bientôt le Duc reconnut qu'il n'avait rien à craindre sur sa droite, et il se mit à nous employer d'une autre manière.

Les français avaient poussé leurs tirailleurs jusqu'au delà de la ferme.

Ils étaient couchés dans le blé encore vert en face de nous.

De là, ils visaient les canonniers, si bien que sur notre gauche trois pièces sur six étaient muettes, avec leurs servants épars sur le sol autour d'elles.

Mais le Duc avait l'oeil à tout.

À ce moment, il arriva au galop.

C'était un homme maigre, brun, tout en nerfs, avec un regard très vif, un nez crochu, et une grande cocarde à son chapeau.

Il avait derrière lui une douzaine d'officiers, aussi fringants que s'ils participaient à une chasse au renard, mais de cette douzaine il n'en restait pas un seul le soir.

-- Chaude affaire, Adams! dit-il en passant.

-- Très chaude, votre Grâce, dit notre général.

-- Mais nous pouvons les arrêter, je crois. Tut! Tut! nous ne saurions permettre à des tirailleurs de réduire une batterie au silence. Allez me débusquer ces gens-là, Adams.

Alors j'éprouvai pour la première fois ce frisson diabolique qui vous court dans le corps, quand on vous donne votre rôle à remplir dans le combat.

Jusqu'à présent, nous n'avions pas fait autre chose que de rester couchés et d'être tués, ce qui est la chose la plus maussade du monde.

À présent notre tour était venu, et sur ma parole, nous étions prêts.

Nous nous levâmes, toute la brigade, en formant une ligne de quatre hommes d'épaisseur.

Alors ils se sauvèrent comme des vanneaux, en baissant la tête, arrondissant le dos, et traînant leurs fusils par terre.

La moitié d'entre eux échappèrent, mais nous nous emparâmes des autres, et tout d'abord de leur officier, car c'était un très gros homme, qui ne pouvait courir bien vite.

Je reçus comme un coup en voyant Rob Stewart, qui était à ma droite, planter sa baïonnette en plein dans le large dos de cet homme, que j'entendis jeter un hurlement de damné.

La Grande Ombre Page 41

Arthur Conan Doyle

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