On ne fit aucun quartier dans ce champ; on s'escrima contre eux de la pointe ou de la crosse.
Les hommes avaient maintenant le sang en feu, et cela n'avait rien d'�tonnant, car pendant toute la matin�e, ces gu�pes n'avaient cess� de nous piquer, tout en restant presque invisibles pour nous.
Et alors, apr�s avoir franchi l'autre bord du champ de bl�, comme nous �tions sortis de la zone de fum�e, nous v�mes devant nous l'arm�e fran�aise tout enti�re, dont nous n'�tions s�par�s que par deux pr�s et un petit sentier.
Nous jet�mes un grand cri en les voyant, et nous nous serions lanc�s � l'attaque, si l'on nous avait laiss�s faire, car les jeunes soldats ne se figurent pas que cela puisse mal tourner poux eux jusqu'au moment o� ils sont compl�tement engag�s.
Mais le Duc �tait venu au trot tout pr�s de nous pendant que nous avancions.
Les officiers passaient � cheval devant nous en agitant leurs �p�es pour nous arr�ter.
Des sonneries de clairons se firent entendre.
Il y eut des pouss�es, des manoeuvres, les sergents jurant et nous bourrant de coups de hallebarde.
En moins de temps qu'il ne m'en faut pour l'�crire, la brigade �tait dispos�e en trois petits carr�s bien dessin�s, tout h�riss�s de ba�onnettes, et dispos�s en �chelon, comme on dit, ce qui permettait � chacun d�eux de tirer en travers de l'une des faces de l'autre.
Ce fut l� notre salut, comme je pus le voir, tout jeune soldat que j'�tais, et il n'�tait m�me que temps.
Il y avait sur notre flanc droit une colline basse et onduleuse.
De derri�re cette colline montait un bruit auquel rien au monde ne ressemble autant que celui des vagues sur la c�te de Berwick quand le vent vient de l'est.
La terre �tait tout �branl�e de ce grondement sourd: l'air en �tait plein.
-- Ferme, soixante-onzi�me, au nom de Dieu, tenez ferme! cria derri�re nous la voix de notre colonel, mais nous n'avions devant nous que la pente douce et verte de la colline, toute piquet�e de marguerites et de pissenlits.
Puis tout � coup par-dessus la cime nous v�mes surgir huit cents casques de cuivre, cela subitement.
Chacun de ces casques faisait flotter une longue crini�re, et sous ses casques apparurent huit cents figures farouches, h�l�es, qui s'avan�aient, se penchaient jusque sur les oreilles d'un m�me nombre de chevaux.
Pendant un instant, on vit briller des cuirasses, brandir des sabres, des crini�res s'agiter, des naseaux rouges s'ouvrir, se fermer avec fureur. Des sabots battirent l'air devant nous.
Alors la ligne des fusils s'abaissa. Nos balles se heurt�rent contre leurs cuirasses avec le cr�pitement de la gr�le contre une fen�tre.
Je fis feu comme les autres et me h�tai de recharger, en regardant devant moi, � travers la fum�e, o� je vis un objet long et mince qui allait flottant lentement en avant et en arri�re.
Un coup de clairon nous avertit de cesser le feu.
Une bouff�e de vent emporta le voile qui s'�tendait devant nous et alors nous p�mes voir ce qui s'�tait pass�.
Je m'�tais attendu � voir la moiti� de ce r�giment de cavalerie couch� � terre, mais soit que leurs cuirasses les eussent prot�g�s, soit que par suite de notre jeunesse et de l'agitation que nous avait caus�e leur approche, nous eussions tir� haut, notre feu ne leur avait pas caus� grand dommage.
Environ trente chevaux gisaient par terre, trois ensemble � moins de dix yards de moi, celui du milieu �tait compl�tement sur le dos, les quatre pattes en l'air, et c'�tait l'une de ces pattes que j'avais vue s'agiter � travers la fum�e.
Il y avait huit ou dix morts et autant de bless�s, qui restaient assis sur l'herbe, la plupart tout �tourdis, mais l'un d'eux criant � tue-t�te:
-- Vive l'Empereur!
Un autre, qui avait re�u une balle dans la cuisse, un grand diable � moustache noire, �tait assis le dos contre le cadavre de son cheval.
Ramassant sa carabine, il fit feu avec autant de sang-froid que s'il avait concouru pour le tir � la cible, et il atteignit en plein front Angus Myres qui n'�tait s�par� de moi que par deux hommes.
Il allongeait la main pour prendre une autre carabine qui se trouvait tout pr�s, mais avant qu'il e�t le temps de la saisir, le gros Hodgson, qui formait le pivot de la compagnie de Grenadiers, accourut et lui planta sa ba�onnette dans la gorge. Grand dommage, car c��tait un fort bel homme!
Tout d'abord je m'imaginai que les cuirassiers s'�taient enfuis � la faveur de la fum�e, mais ils n��taient pas gens � le faire aussi facilement.
Leurs chevaux avaient d�vi� sous notre feu.
Ils avaient continu� leur course au del� de notre carr� et re�u le feu des deux carr�s plac�s plus loin.
Alors ils franchirent une haie, rencontr�rent un r�giment de Hanovriens form� en ligne et les trait�rent comme ils nous auraient trait�s si nous n'avions pas �t� aussi prompts.
Ils le taill�rent en pi�ces en un instant.
C'�tait terrible de voir les gros Allemands courir en criant pendant que les cuirassiers, se dressant sur leurs �perons pour donner plus d'�lan � leurs sabres longs et lourds, les abattaient d'estoc et de taille sans merci.