-- Ce sera avec le plus grand plaisir; dit l’autre en ôtant son chapeau.
Un moment après, nos trois régiments se resserrèrent. La brigade avança sur quatre lignes, franchit le creux où nous étions restés couchés en formant les carrés, et alla au-delà du point d'où nous avions vu l'armée française.
Il n'était pas possible de voir beaucoup de choses à ce moment.
On ne distinguait guère que la flamme rouge, jaillissant de la gueule des canons, à travers le nuage de fumée, et les silhouettes noires se baissant, tirant, écouvillonnant, chargeant, actives comme des diables, et toutes à leur oeuvre diabolique.
Mais à travers ce tapage et ce bourdonnement montait, de plus en plus fort, le bruit de milliers de pieds en marche, mêlé à de grandes clameurs.
Puis on entrevit, à travers le brouillard, une vague mais large ligne noire, qui prît une teinte plus foncée, un dessin plus net, si bien qu'enfin, nous vîmes que c'était une colonne, sur cent hommes de front, qui se dirigeaient rapidement sur nous; coiffés de hauts bonnets à poil, avec un éclat de plaques de cuivre au- dessus du front.
Et derrière ces cent hommes, il y en avait cent autres, et ainsi de suite, cela se déroulait, se tordait, sortait de la fumée des canons.
On eût dit un serpent monstrueux, et cette immense colonne paraissait interminable.
En avant venaient, çà et là, des tirailleurs, derrière ceux-ci, les tambours, tout cela s'avançait d'un pas élastique, les officiers formant des groupes serrés sur les flancs, l'épée à la main et criant des encouragements.
Il y avait aussi, en tête, une douzaine de cavaliers, qui criaient tous ensemble, l'un d'eux portait son shako au bout de son épée, qu'il tenait droite.
Je le dis encore, jamais mortels ne combattirent aussi vaillamment que le firent les Français ce jour-là.
C'était merveilleux de les voir, car à mesure qu'ils s'avançaient, ils se trouvèrent en avant de leurs propres canons, de sorte qu'ils n'eurent plus à compter sur cette aide, quoiqu'ils allassent tout droit à deux batteries que nous avions eues à nos côtés pendant tout le jour.
Chaque canon avait réglé son tir à un pied près, et nous vîmes de longues lignes rouges se dessiner dans la noire colonne, à mesure qu'elle progressait.
Les Français étaient si près de nous et si serrés les uns contre les autres, que chaque coup en emportait des dizaines; mais ils se serraient davantage, et marchaient avec un élan, un entrain qui étaient des plus beaux à voir.
Leur tête était tournée tout droit vers nous, tandis que le 93ème débordait d'un côté, et le 52ème de l'autre côté.
Je croirai toujours que si nous étions restés à l'attendre, la Garde nous aurait enfoncés, car comment arrêter une telle colonne avec une ligne de quatre hommes d’épaisseur?
Mais à ce moment-là, Colburne, le colonel du 52ème, reploya son flanc gauche de manière à le placer parallèlement à la colonne, ce qui contraignit les Français à s'arrêter.
Leur ligne de front était à une quarantaine de pas de nous, et nous pûmes les voir à notre aise.
Il m'a toujours paru plaisant de me rappeler que je m'étais toujours figuré les Français comme des hommes de petite taille.
Or, il n'y en avait pas un seul, dans cette première compagnie, qui ne fût capable de me ramasser comme si j'étais un gamin, et leurs hauts bonnets à poil les faisait paraître plus grands encore.
C’étaient des gaillards endurcis, tannés, nerveux, aux yeux farouches et bridés, aux moustaches hérissées, ces vieux soldats qui n'avaient jamais passé une semaine sans se battre, et pendant bien des années.
Et alors, comme je me tenais prêt, le doigt sur la détente, attendant le commandement de feu, mon regard tomba en plein sur l’officier monté qui portait son chapeau au bout de son épée.
Je le reconnus: c'était Bonaventure de Lissac.
Je le vis. Jim le vit aussi.
J'entendis un grand cri, et je vis Jim courir comme un fou sur la colonne française.
Aussi prompte que la pensée, la brigade entière suivit cette impulsion, les officiers comme les soldats, et se jeta sur le front de la Garde, pendant que nos camarades l'assaillaient par les flancs.
Nous avions attendu l'ordre, mais tout le monde crut qu'il avait été donné: cependant, vous pouvez me croire sur parole, ce fut en réalité Jim Horscroft qui mena cette charge, faite par la brigade sur la vieille Garde.
Dieu sait ce qui se passa pendant ces cinq premières minutes de rage.
Je me rappelle que je mis mon fusil sur un uniforme bleu, que j'appuyai sur la détente, et que l'homme ne tomba pas, parce qu’il était porté par la foule, mais je vis, sur l’étoffe, une tache horrible, et un léger tourbillon de fumée, comme si elle avait pris feu. Puis, je me trouvai rejeté contre deux gros Français, et si serré entre eux, qu'il nous était impossible de mouvoir une arme.
L'un d'eux, un gaillard à grand nez, me saisit à la gorge, et je me sentis comme un poulet dans sa poigne.
-- Rendez-vous, coquin, dit-il.
Mais, tout à coup, il se ploya en deux en jetant un cri, car quelqu'un venait de lui plonger une baïonnette dans le ventre.