Je me repr�sentais le vieillard retomb� en enfance, le secr�taire maigre, la gouvernante distingu�e, les deux enfants, probablement des enfants g�t�s et tapageurs, et j�arrivai � conclure que quand tout cela et moi nous serions bloqu�s ensemble dans une maison � la campagne, il resterait bien peu de temps pour �tudier tranquillement.
Apr�s deux jours de r�flexion, j�avais presque r�solu de d�cliner l�invitation, lorsque je re�us du Yorkshire une autre lettre encore plus pressante que la premi�re:
�Nous attendons des nouvelles de vous � chaque courrier, disait mon ami, et chaque fois qu�on frappe je m�attends � recevoir un t�l�gramme qui m�indique votre train.
�Votre chambre est toute pr�te, et j�esp�re que vous la trouverez confortable.
�L�oncle J�r�mie me prie de vous dire combien il sera heureux de vous voir.
�Il aurait �crit, mais il est absorb� par la composition d�un grand po�me �pique de cinq mille vers ou environ.
�Il passe toute la journ�e � courir d�une chambre � l�autre, ayant toujours sur les talons Copperthorne, qui, pareil au monstre de Frankenstein, le suit � pas compt�s, le calepin et le crayon � la main, notant les savantes paroles qui tombent de ses l�vres.
�� propos, je crois vous avoir parl� de la gouvernante brune si pleine de chic.
�Je pourrais me servir d�elle comme d�un app�t pour vous attirer, si vous avec gard� votre go�t pour les �tudes d�ethnologie.
�Elle est fille d�un chef hindou, qui avait �pous� une Anglaise. Il a �t� tu� pendant l�Insurrection en combattant contre nous; ses domaines ayant �t� confisqu�s par le Gouvernement, sa fille, alors �g�e de quinze ans, s�est trouv�e presque sans ressource.
�Un charitable n�gociant allemand de Calcutta l�adopta, para�t-il, et l�amena en Europe avec sa propre fille.
�Celle-ci mourut et alors miss Warrender -- nous l�appelons ainsi, du nom de sa m�re -- r�pondit � une annonce ins�r�e par mon oncle, et c�est ainsi que nous l�avons connue.
�Maintenant, mon vieux, n�attendez pas qu�on vous donne l�ordre de venir, venez tout de suite.�
Il y avait dans la seconde lettre d�autres passages qui m�interdisent de la reproduire int�gralement.
Il �tait impossible de tenir bon plus longtemps devant l�insistance de mon vieil ami.
Aussi tout en pestant int�rieurement, je me h�tai d�emballer mes livres, je t�l�graphiai le soir m�me, et la premi�re chose que je fis le lendemain matin, ce fut de partir pour le Yorkshire.
Je me rappelle fort bien que ce fut une journ�e assommante, et que le voyage me parut interminable, recroquevill� comme je l��tais dans le coin d�un wagon � courants d�air, o� je m�occupais � tourner et retourner mentalement maintes questions de chirurgie et de m�decine.
On m�avait pr�venu que la petite gare d�Ingleton, � une quinzaine de milles de Tarnforth, �tait la plus rapproch�e de ma destination.
J�y d�barquai � l�instant m�me o� John Thurston arrivait au grand trot d�un haut dog-cart par la route de la campagne.
Il agita triomphalement son fouet en m�apercevant, poussa brusquement son cheval, sauta � bas de voiture, et de l� sur le quai.
-- Mon cher Hugh, s��cria-t-il, je suis ravi de vous voir. Comme vous avez �t� bon de venir!
Et il me donna une poign�e de main que je sentis jusqu�� l��paule.
-- Je crains bien que vous ne me trouviez un compagnon d�sagr�able maintenant que me voil�, r�pondis-je. Je suis plong� jusque par dessus les yeux dans ma besogne.
-- C�est naturel, tout naturel, dit-il avec sa bonhomie ordinaire. J�en ai tenu compte, mais nous aurons quand m�me le temps de tirer un ou deux lapins. Nous avons une assez longue trotte � faire, et vous devez �tre compl�tement gel�, aussi nous allons repartir tout de suite pour la maison.
Et l�on se mit � rouler sur la route poussi�reuse.
Je crois que votre chambre vous plaira, remarqua mon ami. Vous vous trouverez bient�t comme chez vous. Vous savez, il est fort rare que je s�journe � Dunkelthwaite, et je commence � peine � m�installer et � organiser mon laboratoire. Voici une quinzaine que j�y suis. C�est un secret connu de tout le monde que je tiens une place pr�dominante dans le testament du vieil oncle J�r�mie. Aussi mon p�re a-t-il cru que c��tait un devoir �l�mentaire pour moi de venir et de me montrer poli. �tant donn�e la situation, je ne puis gu�re me dispenser de me faire valoir un peu de temps en temps.
-- Oh! certes, dis-je.
-- En outre, c�est un excellent vieux bonhomme. Cela vous divertira de voir notre m�nage. Une princesse comme gouvernante, cela sonne bien, n�est-ce pas? Je m�imagine que notre imperturbable secr�taire s�est hasard� quelque peu de ce c�t�-l�. Relevez le collet de votre pardessus, car il fait un vent glacial.
La route franchit une s�rie de collines faibles, pel�es, d�pourvues de toute v�g�tation, � l�exception d�un petit nombre de bouquets de ronces, et d�un mince tapis d�une herbe coriace et fibreuse, o� un troupeau �pais de moutons d�charn�s, � l�air affam�, cherchaient leur nourriture.
Nous descendions et montions tour � tour dans un creux, tant�t au sommet d�une hauteur, d�o� nous pouvions voir les sinuosit�s de la route, comme un mince fil blanc passant d�une colline � une autre plus �loign�e.