Je passai dans ma chambre presque toute ma seconde journée de visite, et j’avançai considérablement ma besogne.

Le soir, John et moi, nous nous rendîmes à la garenne de lapins avec nos fusils.

En revenant, je contai à John la scène absurde qu’avaient faite le matin les domestiques, mais il ne me parut pas qu’il en saisît, autant que moi, le côté grotesque.

-- C’est un fait, dit-il, que dans les très vieilles demeures comme celle-ci, où la charpente est vermoulue et déformée, on voit quelquefois certains phénomènes curieux qui prédisposent l’esprit à la superstition. J’ai déjà entendu, depuis que je suis ici, pendant la nuit, une ou deux choses qui auraient pu effrayer un homme nerveux et à plus forte raison une domestique ignorante. Naturellement, toutes ces histoires d’apparitions sont de pures sottises, mais une fois que l’imagination est excitée, il n’y a plus moyen de la retenir.

-- Qu’avez-vous donc entendu? demandai-je, fort intéressé.

-- Oh! rien qui en vaille la peine, répondit-il. Voici les bambins et miss Warrender. Il ne faut pas causer de ces choses en sa présence. Autrement elle nous donnera les huit jours, elle aussi, et ce serait une perte pour la maison.

Elle était assise sur une petite barrière placée à la lisière du bois qui entoure Dunkelthwaite, les deux enfants appuyés sur elle de chaque côté, leurs mains jointes autour de ses bras, et leurs figures potelées tournées vers la sienne.

C’était un joli tableau.

Nous nous arrêtâmes un instant à le contempler.

Mais elle nous avait entendus approcher.

Elle descendit d’un bond et vint à notre rencontre, les deux petits trottinant derrière elle.

-- Il faut que vous m’aidiez du poids de votre autorité, dit-elle à John. Ces petits indociles aiment l’air du soir, et ne veulent pas se laisser persuader de rentrer.

-- Veux pas rentrer, dit le garçon d’un ton décidé. Veux entendre le reste de l’histoire.

-- Oui, l’histoire, zézaya la petite.

-- Vous saurez le reste de l’histoire demain, si vous êtes sages. Voici M. Lawrence qui est médecin. Il vous dira qu’il ne vaut rien pour les petits garçons et les petites filles de rester dehors quand la rosée tombe.

-- Ainsi donc vous écoutiez une histoire? demanda John pendant que nous nous remettions en route.

-- Oui, une bien belle histoire, dit avec enthousiasme le bambin. Oncle Jérémie nous en dit des histoires, mais c’est en poésie, et elles ne sont pas, oh! non, pas si jolies que les histoires de miss Warrender. Il y en a une, où il y a des éléphants.

-- Et des tigres, et de l’or, continua la fillette.

-- Oui, on fait la guerre, on se bat et le roi des Cigares...

-- Des Cipayes, mon ami, corrigea la gouvernante.

-- Et les tribus dispersées qui se reconnaissent entre elles par le moyen de signes, et l’homme qui a été tué dans la forêt. Elle sait des histoires magnifiques. Pourquoi ne lui demandez-vous pas de vous en raconter une, cousin John?

-- Vraiment, miss Warrender, dit mon compagnon, vous avez piqué notre curiosité. Il faut que vous nous contiez ces merveilles.

-- À vous, elles paraîtraient assez sottes, répondit-elle en riant. Ce sont simplement quelques souvenirs de ma vie passée.

Comme nous suivions lentement le sentier qui traverse le bois, nous vîmes Copperthorne arriver en sens opposé.

-- Je vous cherchais tous, dit-il en feignant maladroitement un ton jovial, je voulais vous informer qu’il est l’heure de dîner.

-- Nos montres nous l’ont déjà dit, répondit John d’une voix qui me parut plutôt bourrue.

-- Et vous avez couru le lapin ensemble, dit le secrétaire, en marchant à pas comptés près de nous.

-- Pas ensemble, répondis-je, nous avons rencontré miss Warrender et les enfants, en revenant.

-- Oh! miss Warrender est allée à votre rencontre, quand vous reveniez, dit-il.

Cette façon de retourner promptement le sens de mes paroles, et le ton narquois qu’il y mit, me vexèrent au point que j’eusse répondu par une vive riposte, si je n’avais pas été retenu par la présence de la jeune dame.

Au même moment, je tournai les yeux vers la gouvernante et je vis briller dans son regard un éclair de colère à l’adresse de l’interlocuteur, ce qui me prouva qu’elle partageait mon indignation.

Aussi fus-je bien surpris cette même nuit quand, vers dix heures, m’étant mis à la fenêtre de ma chambre, je les vis se promenant ensemble au clair de lune et causant avec animation.

Je ne sais comment cela se fit, mais cette vue m’agita au point qu’après quelques vains efforts pour reprendre mes études, je mis mes livres de côté et renonçai au travail pour ce soir-là.

Vers onze heures, je regardai de nouveau, mais ils n’étaient plus là.

Bientôt après j’entendis le pas traînant de l’oncle Jérémie et le pas ferme et lourd du secrétaire, quand ils remontèrent l’escalier qui menait à leurs chambres à coucher, situées à l’étage supérieur.

Chapitre IV

John Thurston ne fut jamais grand observateur et je crois que j’en savais plus long que lui sur ce qui se passait à Dunkelthwaite, au bout de trois jours passés sous le toit de son oncle.

Nouveaux Mystères et Aventures Page 07

Arthur Conan Doyle

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