Ce nom, je le déteste, comme je le hais, lui. Ah! si j’avais seulement quelqu’un pour m’aimer, c’est-à-dire comme aiment les hommes d’au-delà des mers, dans mon pays, je sais bien ce que je lui dirais.

-- Que lui diriez-vous demandai-je, tout étonné de cette explosion extraordinaire.

Elle se pencha si en avant, que je crus sentir sur ma figure sa respiration chaude et pantelante.

-- Tuez Copperthorne, dit-elle, voilà ce que je lui dirais. Tuez Copperthorne. Alors vous pourrez revenir me parler d’amour.

Rien ne pourrait donner une idée de l’intensité de fureur qu’elle mit à lancer ces mots qui sifflèrent entre ses dents blanches.

En parlant, elle avait l’air si venimeuse que je reculai involontairement devant elle.

Se pouvait-il que ce serpent python et la jeune dame pleine de réserve qui se tenait bien, si tranquillement, à la table de l’oncle Jérémie ne fissent qu’un?

J’avais bien compté que j’arriverais à voir quelque peu dans son caractère au moyen de questions détournées, mais je ne m’attendais guère à évoquer un esprit pareil.

Elle dut voir l’horreur et l’étonnement se peindre sur ma physionomie, car elle changea d’attitude et eut un rire nerveux.

-- Vous devez certainement me croire folle, dit-elle, vous voyez que c’est l’éducation hindoue qui se fait jour. Là-bas nous ne faisons rien à demi, dans l’amour et dans la haine.

-- Et pourquoi donc haïssez-vous M. Copperthorne? demandai-je.

-- Au fait, répondit-elle en radoucissant sa voix, le mot de haine est peut-être un peu trop fort, mieux vaudrait celui de répulsion. Il est des gens qu’on ne peut s’empêcher de prendre en aversion, alors même qu’on n’a aucun motif à en donner.

Évidemment elle regrettait l’éclat qu’elle venait de faire, et tâchait de le masquer par des explications.

Voyant qu’elle cherchait à changer de conversation, je l’y aidai.

Je fis des remarques sur un livre de gravures hindoues qu’elle était allée prendre avant mon arrivée et qui était resté sur ses genoux.

La Bibliothèque de l’oncle Jérémie était fort complète, et particulièrement riche en ouvrages de cette catégorie.

-- Elles ne sont pas des plus exactes, dit-elle en tournant les pages d’enluminures.

-- Toutefois celle-ci est bonne, reprit-elle en désignant une gravure qui représentait un chef vêtu d’une cotte de mailles, et coiffé d’un turban pittoresque; celle-ci est vraiment très bonne. Mon père était ainsi vêtu quand il montait son cheval de combat tout blanc, et conduisait tous les guerriers de Dooab à la bataille contre les Feringhees. Mon père fut choisi parmi eux tous, car ils savaient qu’Achmet Genghis Khan était un grand- prêtre autant qu’un grand soldat. Le peuple ne voulait d’autre chef qu’un Borka éprouvé. Il est mort maintenant, et de tous ceux qui ont suivi son étendard, il n’en est plus qui ne soient dispersés ou qui n’aient péri, pendant que moi, sa fille, je suis une mercenaire sur une terre lointaine.

-- Sans doute, vous retournerez un jour dans l’Inde, dis-je en faisant de mon mieux pour lui donner une faible consolation.

Elle tourna les pages distraitement quelques minutes sans répondre.

Puis, elle laissa échapper soudain un petit cri de plaisir en voyant une des images.

-- Regardez-le, s’écria-t-elle aussitôt. Voici un de nos exilés. C’est un Bhuttotee. Il est très ressemblant.

La gravure qui l’excitait ainsi, représentait un indigène d’aspect fort peu engageant, tenant d’une main un petit instrument qui avait l’air d’une pioche en miniature, et de l’autre une pièce carrée de toile rayée.

-- Ce mouchoir, c’est son roomal, dit-elle. Naturellement, il ne circulerait pas ainsi en public comme cela. Il ne porterait pas non plus sa hache sacrée, mais sous tous les autres rapports il est exactement tel qu’il doit être. Bien des fois je me suis trouvée avec des gens comme lui pendant les nuits sans lune, avec les Lughaees marchant à l’avant, quand l’étranger sans méfiance entendait le Pilhaoo à sa gauche, et ne savait pas ce que cela signifiait. Ah, c’était une vie qui valait la peine d’être vécue.

-- Mais qu’est-ce qu’un roomal, et le Lughaee, et le reste, demandai-je.

-- Oh! ce sont des mots indiens, répondit-elle en riant. Vous ne les comprendriez pas.

-- Mais cette gravure a pour légende: «Un Dacoït» et j’ai toujours cru qu’un Dacoït est un voleur.

-- C’est que les Anglais n’en savent pas davantage, remarqua-t- elle. Certes, les Dacoïts sont des voleurs, mais on qualifie de voleurs bien des gens qui ne le sont réellement pas; eh bien, cet homme est un saint homme, et selon toute probabilité c’est un gourou.

Elle m’aurait peut-être donné plus de renseignements sur les moeurs et les coutumes de l’Inde, car c’était un sujet dont elle aimait à parler, quand soudain je vis un changement se produire dans sa physionomie.

Elle tourna son regard fixe sur la fenêtre qui était derrière moi.

Je me retournai pour voir, et j’aperçus tout au bord la figure du secrétaire qui épiait furtivement.

J’avoue que j’eus un tressaillement à cette vue, car avec sa pâleur cadavéreuse, cette tête avait l’air de celle d’un décapité.

Nouveaux Mystères et Aventures Page 11

Arthur Conan Doyle

Scottish Authors

Free Books in the public domain from the Classic Literature Library ©

Sir Arthur Conan Doyle
Classic Literature Library
Classic Authors

All Pages of This Book