Il poussa la fenêtre et l’ouvrit en s’apercevant qu’il avait été vu.
-- Je suis fâché de vous déranger, dit-il en avançant la tête, mais ne trouvez-vous pas, miss Warrender, qu’il est malheureux d’être enfermé dans une pièce étroite par un si beau jour. N’êtes- vous pas disposée à sortir et faire un tour?
Bien que son langage fût poli, ses paroles étaient prononcées d’une voix dure, presque menaçante, qui leur donnait le ton du commandement plutôt que celui de la prière.
La gouvernante se leva et, sans protester, sans faire de remarque, elle sortit doucement pour prendre son chapeau.
Ce fut là une preuve nouvelle de l’empire que Copperthorne exerçait sur elle.
Et comme il me regardait par la fenêtre ouverte, un sourire moqueur se jouait sur ses lèvres minces.
On eût dit qu’il avait voulu me provoquer par cette démonstration de son pouvoir.
Avec le soleil derrière lui, on l’eut pris pour un démon entouré d’une auréole.
Il resta ainsi quelques instants à me regarder fixement, la figure empreinte d’une méchanceté concentrée.
Puis j’entendis son pas lourd qui faisait craquer le gravier de l’allée, pendant qu’il se dirigeait vers la porte.
Chapitre V
Pendant les quelques jours qui suivirent l’entrevue où miss Warrender m’avait avoué la haine que lui inspirait le secrétaire, tout alla bien à Dunkelthwaite.
J’eus plusieurs longues conversations avec elle dans des promenades que nous faisions à l’aventure dans les bois, avec les deux bambins, mais je ne réussis point à la faire s’expliquer nettement sur l’accès de violence qu’elle avait eu dans la bibliothèque, et elle ne me dit pas un mot qui pût jeter quelque lumière sur le problème qui m’intéressait si vivement.
Toutes les fois que je faisais une remarque qui pouvait conduire dans cette direction, elle me répondait avec une réserve extrême, ou bien elle s’apercevait tout à coup qu’il n’était que temps pour les enfants de retourner dans leur chambre, de sorte que j’en vins à désespérer d’apprendre d’elle-même quoi que ce fût.
Pendant ce temps, je ne me livrai à mes études que d’une manière irrégulière, par boutades.
De temps à autre, l’oncle Jérémie, de son pas traînant, entrait chez moi, un rouleau de manuscrits à la main, pour me lire des extraits de son grand poème épique.
Lorsque j’éprouvais le besoin d’une société, j’allais faire un tour dans le laboratoire de John, de même qu’il venait me trouver chez moi, quand la solitude lui pesait.
Parfois, je variais la monotonie de mes études en prenant mes livres et m’installant à l’aise dans les massifs où je passais le jour à travailler.
Quant à Copperthorne, je l’évitais autant que possible, et de son côté il n’avait nullement l’air empressé de cultiver ma connaissance.
Un jour, dans la seconde semaine de juin, John vint me trouver un télégramme à la main et l’air extrêmement ennuyé.
-- En voilà, une affaire! s’écria-t-il. Le papa m’enjoint de partir séance tenante pour me rendre à Londres. Ce doit être pour quelque histoire de légalité. Il a toujours menacé de mettre ordre à ses affaires, et maintenant il lui a pris une crise d’énergie et il veut en finir.
-- Vous ne serez pas longtemps absent, je suppose? dis-le.
-- Une semaine ou deux peut-être. C’est une chose bien désagréable. Cela tombe juste au moment où je comptais réussir à décomposer cet alcaloïde.
-- Vous le retrouverez tel quel quand vous reviendrez, dis-je en riant. Il n’y a personne ici qui se mêle de le décomposer en votre absence.
-- Ce qui m’ennuie le plus, c’est de vous laisser ici, reprit-il. Il me semble que c’est mal remplir les devoirs de l’hospitalité que de faire venir un camarade dans ce séjour solitaire et de s’en aller brusquement en le plantant là.
-- Ne vous tourmentez pas à mon sujet répondis-je. J’ai beaucoup trop de besogne pour me sentir seul. En outre, j’ai trouvé ici des attractions sur lesquelles je ne comptais pas du tout. Je ne crois pas qu’il y ait dans ma vie six semaines qui m’aient paru aussi courtes que les dernières.
-- Oh! elles ont passé si vite que cela? dit John, en se moquant.
Je suis convaincu qu’il était toujours dans son illusion de me croire amoureux fou de la gouvernante.
Il partit ce même jour par un train du matin, en promettant d’écrire et de nous envoyer son adresse à Londres, car il ne savait pas dans quel hôtel son père descendrait.
Je ne me doutais pas des conséquences qui résulteraient de ce mince détail, je ne me doutais pas non plus de ce qui allait arriver avant que je pusse revoir mon ami.
À ce moment-là, son départ ne me faisait aucune peine.
Il en résultait simplement que nous quatre qui restions nous allions être en contact plus intime et il semblait que cela dût favoriser la solution du problème auquel je prenais de jour en jour un plus vif intérêt.
À un quart de mille environ de la maison de Dunkelthwaite se trouve un petit village formé d’une longue rue, qui porte le même nom, et composé de vingt ou trente cottages aux toits d’ardoises, et d’une église vêtue de lierre toute voisine de l’inévitable cabaret.