C’était probablement pendant une de ces crises qu’elle avait mis fin aux jours de la pauvre Ethel après avoir soigneusement préparé un alibi pour cacher son crime, et Copperthorne ayant découvert par hasard cet assassinat, cela lui avait donné l’ascendant qu’il exerçait sur son étrange complice.
De tous les genres de morts, celui de la pendaison est regardé dans ces tribus comme le plus impie, le plus dégradant, et sachant qu’elle s’était exposée à cette mort d’après la loi du pays, elle y voyait évidemment une nécessité inéluctable de soumettre sa volonté, de dominer sa nature impérieuse lorsqu’elle se trouvait en présence du secrétaire.
Quant à Copperthorne, après avoir réfléchi sur ce qu’il avait fait et sur ce qu’il comptait faire, je me sentais l’âme pleine d’horreur et de dégoût à son égard.
C’était donc ainsi qu’il reconnaissait les bontés que lui avait prodiguées le pauvre vieux.
Il lui avait déjà arraché par ses flatteries une signature qui était l’abandon de ses propriétés, et maintenant, comme il craignait que quelques remords de conscience ne modifiassent la volonté du vieillard, il avait résolu de le mettre hors d’état d’y ajouter un codicille.
Tout cela était assez canaille, mais ce qui semblait y mettre le comble, c’était que trop lâche pour exécuter son projet de sa propre main, il avait à mis à profit les horribles idées religieuses de cette malheureuse créature, pour faire disparaître l’oncle Jérémie d’une façon telle que nul soupçon ne pût atteindre le véritable auteur du crime.
Je décidai en moi-même que, quoi qu’il dût arriver, le secrétaire n’échapperait point au châtiment qui lui était dû.
Mais que faire?
Si j’avais connu l’adresse de mon ami, je lui aurais envoyé un télégramme le lendemain matin, et il aurait pu être de retour à Dunkelthwaite avant la nuit.
Malheureusement, John était le pire des correspondants, et bien qu’il fût parti depuis quelques jours déjà, nous n’avions point reçu de ses nouvelles.
Il y avait trois servantes dans la maison, mais pas un homme, à l’exception du vieil Élie, et je ne connaissais dans le pays personne sur qui je puisse compter.
Toutefois, cela importait peu, car je me savais de force à lutter avec grand avantage contre le secrétaire, et j’avais assez confiance en moi-même pour être sûr que ma seule résistance suffirait pour empêcher absolument l’exécution du complot.
La question était de savoir quelles étaient les meilleures mesures que je devais prendre en de telles circonstances.
Ma première idée fut d’attendre tranquillement jusqu’au matin, et alors d’envoyer sans esclandre au poste de police le plus proche pour en ramener deux constables.
Alors je pourrais livrer Copperthorne et sa complice à la justice et raconter l’entretien que j’avais entendu.
En y réfléchissant davantage, je reconnus que ce plan était tout à fait impraticable.
Avais-je l’ombre d’une preuve contre eux en dehors de mon histoire?
Et cette histoire ne paraîtrait-elle pas d’une absurde invraisemblance à des gens qui ne me connaissaient pas.
Et je m’imaginais bien aussi de quel ton rassurant, de quel air impassible Copperthorne repousserait l’accusation, combien il s’étendrait sur la malveillance que j’éprouvais contre lui et sa complice à cause de leur affection réciproque; combien il lui serait aisé de faire croire à une tierce personne que je montais de toutes pièces une histoire pour nuire à un rival; combien il me serait difficile de persuader à qui que ce fut que ce personnage à tournure d’ecclésiastique et cette jeune personne vêtue à la dernière mode étaient deux animaux de proie associés pour chasser.
Je sentais que je commettrais une grosse erreur en me montrant avant d’être sûr que je tenais le gibier.
L’autre alternative était de ne rien dire et de laisser les événements suivre leurs cours, en me tenant toujours prêt à intervenir lorsque les preuves contre les conspirateurs paraîtraient concluantes.
C’était bien la marche qui se recommandait d’elle-même à mon caractère jeune et aventureux.
C’était aussi celle qui semblait la plus propre à amener aux résultats décisifs.
Lorsqu’enfin à la pointe du jour je m’allongeai sur mon lit, j’avais complètement fixé dans mon esprit la résolution de garder pour moi ce que je savais et de m’en rapporter à moi seul pour faire échouer le complot sanguinaire que j’avais surpris.
Le lendemain, l’oncle Jérémie se montra plein d’entrain après le déjeuner, et voulut à toute force lire tout haut une scène des Cenci de Shelley, oeuvre pour laquelle il avait une admiration profonde.
Copperthorne était auprès de lui, silencieux, impénétrable, excepté quand il émettait quelque indication, ou lâchait un cri d’admiration.
Miss Warrender semblait plongée dans ses pensées et je crus voir une fois ou deux des larmes dans ses yeux noirs.
J’éprouvais une étrange sensation à épier ces trois personnages et à réfléchir sur les rapports qui existaient réellement entre eux.
Mon coeur s’échauffait à la vue du petit vieux à la figure rougeaude, mon hôte, avec sa coiffure bizarre et ses façons d’autrefois.