Elle avait même l’air de rire.

Évidemment le patron s’était trompé. Le jeune homme était au désespoir.

La vue d’une cabane en ruine au bord du sentier fit éclore une idée nouvelle.

Il s’y raccrocha comme un homme qui se noie se raccroche à un fétu.

-- C’est Cockney Jack qui l’a bâtie.

-- De quoi est-il mort? demanda sa compagne.

-- Du brandy marque trois étoiles, dit Abe, d’un ton décidé. J’avais l’habitude de venir m’y asseoir, et de rester près de lui, quand il était pris. Pauvre garçon! il avait une femme et deux enfants à Putney. Il délirait, il m’appelait Polly pendant des heures. Il était rincé à fond. Il ne lui restait plus un rouge liard, mais les camarades récoltèrent assez d’or brut pour lui faire des funérailles. Il est enterré dans cette fosse que voilà. C’était son claim. Nous n’avons eu qu’à l’y descendre et à combler le trou. Nous y avons mis aussi son pic, une pelle et un seau, de sorte qu’il se sentira un peu plus à l’aise et chez lui.

Miss Carrie paraissait plus intéressée maintenant.

-- Est-ce qu’il en meurt beaucoup de cette façon? demanda-t-elle.

-- Ah! oui, le brandy en tue beaucoup, mais il y en a davantage qui sont descendus... tués d’une balle, vous savez.

-- Ce n’est pas ce que je veux dire. Est-ce qu’il y a beaucoup de gens qui meurent ainsi dans la misère et la solitude, sans que personne soit là pour s’occuper d’eux?

Et elle indiqua du doigt le groupe de maisons qui se trouvait en bas, devant eux.

-- Y a-t-il quelqu’un qui soit maintenant en train de mourir? C’est une chose terrible.

-- Il n’y a personne qui soit présentement sur le point de casser son pic.

-- Je vous demanderai, monsieur Durton, de ne pas employer tant d’expressions d’argot, dit Carrie en le regardant de ses yeux violets.

C’était étonnant à quel point cette jeune personne arrivait peu à peu à prendre des airs de propriétaire à l’égard de son gigantesque compagnon.

-- Vous savez que ce n’est pas poli. Il faut vous procurer un dictionnaire, et apprendre les termes propres.

-- Mais, dit «Les Os» d’un ton d’excuse, c’est justement le terme propre: quand vous n’êtes pas en mesure d’avoir un perforateur à vapeur, il faut vous résigner à employer le pic.

-- Oui, mais c’est chose facile si vous y mettez de la bonne volonté. Vous pourriez dire qu’un homme est «mourant», ou «moribond», si sous aimez mieux.

-- C’est ça, dit le mineur enthousiasmé. Moribond! en voilà un mot. Vous pourriez damer le pion au patron Morgan en fait de mots. Moribond: voilà un mot qui sonne bien!

Carrie se mit à rire.

-- Ce n’est pas au son que vous devez songer; il faut vous demander si le mot exprime bien votre pensée. Pour parler sérieusement, monsieur Durton, si quelqu’un tombait malade dans le camp, il faut que vous m’en informiez. Je sais donner des soins et je peux rendre quelques services. Vous le ferez, n’est-ce pas?

Abe y consentit avec empressement, et, retombant dans le silence, il réfléchit à là possibilité de s’inoculer quelque maladie longue et ennuyeuse.

On avait parlé à Buckhurst d’un chien enragé. Il y aurait peut- être moyen d’en tirer parti.

-- Et maintenant, il faut que je vous dise bonjour, dit Carrie, quand on fut arrivé à un endroit où un sentier faisant le crochet partait de la route pour aboutir à la villa des Azalées. Je vous remercie infiniment de m’avoir escortée.

Abe demanda en vain qu’on lui permît de faire les cent yards de plus, et employa en vain l’argument écrasant du mignon petit panier qu’il s’offrait à porter.

La jeune personne fut inexorable: elle l’avait déjà trop éloigné de son chemin.

Elle en était confuse; elle ne voulut rien entendre.

Le pauvre «Les Os» dut donc s’en aller, éprouvant un mélange confus de sentiments.

Il l’avait intéressée. Elle lui avait parlé avec bonté. Mais elle l’avait renvoyé avant que cela fût indispensable.

Si elle avait agi ainsi, c’est qu’elle ne se souciait pas beaucoup de lui.

Je crois pourtant qu’il se serait senti un peu plus de courage, s’il avait vu miss Sinclair pendant que, debout à la grille du jardin, elle le regardait s’éloigner, ayant une expression affectueuse sur sa figure mutine, et un sourire plein de malice, à le voir partir la tête penchée, l’air découragé.

Chapitre VIII

Le Bar Colonial était le rendez-vous favori des habitants de l’Écluse de Harvey pendant leurs moments de loisir.

Il y avait eu une vive concurrence entre ce Bar et l’établissement rival appelé L’Épicerie, et qui, en dépit de son innocente dénomination, aspirait à vendre aussi des rafraîchissements spiritueux.

L’introduction de chaises dans ce dernier avait fait apparaître dans le premier un divan. Des crachoirs furent introduits au Bar, le jour où un tableau fit son entrée à l’Épicerie, et alors, comme le dirent les clients, la première manche fut gagnée.

Toutefois, l’Épicerie ayant arboré des rideaux, pendant que son concurrent inaugurait un cabinet particulier et un miroir, il fut décidé que ce dernier avait gagné la partie, et l’Écluse de Harvey montra combien elle appréciait le zèle du propriétaire en retirant sa clientèle à son adversaire.

Nouveaux Mystères et Aventures Page 29

Arthur Conan Doyle

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