Dans la circonstance actuelle, il paraissait être jusqu’à un certain point sous l’influence de la boisson, fait fort rare chez lui, et qu’il fallait probablement mettre sur le compte de son échec récent.

Il mettait un véritable emportement à combattre Jim Struggles et son récit.

-- C’est toujours la même chose, disait-il, qu’un homme rencontre dans la forêt quelques voyageurs, il n’en faut pas davantage pour qu’il perde la tête et vienne raconter des histoires de coureurs de la brousse. S’ils avaient aperçu Jim Struggles en cet endroit, ils seraient partis avec des histoires à n’en plus finir, d’un coureur de Brousse vu par eux derrière un arbre. Quant à reconnaître des hommes qui vont à cheval, et vite, parmi des troncs d’arbres, c’est une impossibilité.

Mais Struggles s’obstinait à soutenir sa première assertion, et les sarcasmes, les arguments se brisaient sur l’épaisseur invulnérable de sa placidité.

On remarqua que Ferguson avait l’air singulièrement ennuyé de toute cette affaire.

On eût dit aussi que quelque chose pesait sur son esprit, car de temps à autre il se levait brusquement, arpentait la pièce en long et en large, sa figure brune animée d’une expression très menaçante.

Tous éprouvèrent un vrai soulagement, quand il prit brusquement son chapeau, et disant sèchement bonsoir à la compagnie, il sortit, traversa le bar et s’en alla par la rue.

-- Il a l’air comme qui dirait désappointé, dit Mac Coy le Long.

-- Il ne peut pas avoir peur des coupeurs de la brousse, assurément, dit Joe Shamees, autre personnage d’importance et principal actionnaire de l’Eldorado.

-- Non, ce n’est pas un homme à avoir peur, répondit un autre. Voici un jour ou deux qu’il a l’air tout singulier. Il fait de longues tournées dans les bois sans emporter aucun outil. On dit que la fille de l’essayeur l’a envoyé promener.

-- Elle a parfaitement bien fait. Elle est bien trop jolie pour lui, remarquèrent plusieurs voix.

-- Ce serait bien drôle qu’il n’eut pas un autre tour dans son sac. C’est un homme difficile à battre quand il s’est mis quelque chose en tête.

-- Abe Durton est le cheval gagnant, remarqua Roulahan, un petit Irlandais barbu. Je parie sept contre quatre pour lui.

-- Vous tenez donc bien à perdre votre argent, l’ami, dit un jeune homme en riant. Il lui faut un homme qui eût plus de cervelle que «Les Os» n’en eut jamais. Voulez-vous parier?

-- Qui a vu «Les Os» aujourd’hui? demanda Mac Coy.

-- Je l’ai vu, dit le jeune mineur. Il allait de tous côtés, demandant un dictionnaire. Probablement il avait une lettre à écrire.

-- Je l’ai vu en train de le lire, dit Shamees. Il est venu me trouver et m’a dit qu’il avait trouvé du premier coup quelque chose de bon. M’a montré un mot presque aussi long que votre bras... abdiquer... quelque chose dans ce genre.

-- C’est aujourd’hui un richard, je suppose, conclut l’Irlandais.

-- Oui, il a presque fait son magot. Il possède cent pieds dans le Conemara et les actions montent d’heure en heure. S’il vendait, il serait en état de retourner au pays.

-- Je parie qu’il compte emmener quelqu’un au pays avec lui, dit un autre. Le vieux Joshua ne ferait pas de difficulté, vu que l’argent est là.

Je crois avoir déjà rapporté dans ce récit que Jim Struggles, le prospecteur ambulant, s’était fait la réputation d’homme spirituel du camp.

Il avait conquis cette réputation non seulement par ses propos légers et plaisants, mais encore par la conception et l’exécution de farces plus compliquées.

Son aventure du matin avait causé une certaine stagnation dans le cours habituel de son humour, mais la société et la boisson le remettaient peu à peu dans un état plus gai.

Depuis le départ de Ferguson, il avait couvé en silence une idée, qu’il se disposait à exposer à ses compagnons attentifs.

-- Dites donc, les enfants, commença-t-il, quel jour sommes-nous?

-- Vendredi, n’est-ce pas?

-- Non, non, pas ça; quel jour du mois?

-- Le diable m’emporte si je le sais.

-- Eh bien! je vais vous le dire. Nous sommes au premier avril. J’ai trouvé dans la cabane un calendrier qui le dit.

-- Qu’est-ce que ça fait? firent plusieurs voix.

-- Eh bien, ne le savez-vous pas? C’est le jour des farces. Ne pourrions-nous pas en arranger une pour quelqu’un? Ne pourrions- nous pas nous en divertir un peu? Eh bien, voilà le vieux «Les Os» par exemple, il ne se méfiera de rien. Ne pourrions-nous pas le faire aller quelque part et le regarder marcher. Nous aurions ensuite de quoi le blaguer pendant un grand mois.

Il y eut un murmure général d’assentiment.

Une farce, si piteuse qu’elle fût, était toujours bienvenue à l’Écluse.

Plus l’esprit en était pataud, plus elle était appréciée. Dans les fosses d’exploitation, on ne va point jusqu’à une délicatesse morbide de sensation.

-- Où l’enverrons-nous? se demanda-t-on.

Depuis un instant, Jim Struggles était plongé dans ses pensées.

Puis une inspiration sacrilège parut lui venir.

Il partit d’un bruyant éclat de rire, se frotta les mains entre les genoux tant il était content.

Nouveaux Mystères et Aventures Page 31

Arthur Conan Doyle

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