-- Eh bien! Qu’est-ce que c’est? demanda l’auditoire empressé.

-- Voici, les enfants. Voilà miss Sinclair. Vous disiez qu’Abe en est fou. Vous pensez bien qu’elle ne fait pas grand cas de lui. Supposez que nous lui écrivions un billet, que nous le lui envoyions ce soir, voyez-vous.

-- Eh bien, quoi alors? dit Mac Coy.

-- Eh bien, on dirait que le billet vient d’elle. On mettrait son nom en bas. On mettrait qu’elle veut le voir et qu’elle lui donne un rendez-vous à minuit dans le jardin. Il ne manquera pas d’y aller. Il croira qu’elle veut se sauver avec lui. Ce sera la plus belle farce jouée cette année.

Éclat de rire général.

L’évocation de ce tableau: l’honnête «Les Os» faisant le pied de grue au clair de lune dans le jardin et le vieux Joshua sortant pour le réprimander, un fusil à deux coups à la main: c’était d’un comique irrésistible.

Le plan fut approuvé à l’unanimité.

-- Voici un crayon, et voici du papier, dit l’humoriste. Qui est- ce qui va écrire la lettre?

-- Écrivez-la vous-même, Jim, dit Shamees.

-- Bon, qu’est-ce que je dirai?

-- Dites ce qui vous paraîtra convenable.

-- Je ne sais pas comment elle s’exprimerait, dit Jim en se grattant le front, fort perplexe. Il est vrai que «Les os» ne s’apercevra pas de la différence. Et ceci fera-t-il l’affaire: «Cher vieux, venez ce soir à minuit, au jardin. Autrement je ne vous adresserai plus la parole.» Hein?

-- Non, ce n’est pas le style qu’il faut, dit le jeune mineur. Rappelez-vous que c’est une demoiselle qui a reçu de l’éducation... Faut mettre ça comme qui dirait dans un genre fleuri, bien tendre.

-- Eh bien, écrivez ça vous-même, dit Jim sur un ton maussade en lui faisant passer le crayon.

-- Voici ce qu’il faut, dit le mineur en mouillant la pointe avec ses lèvres: «Quand la lune est dans le ciel...»

-- C’est bien ça, c’est magnifique, fit l’assistance.

-- «Et que les étoiles envoient leur éclat brillant, venez, oh! venez me trouver, Adolphus, à la porte du jardin, à minuit.»

-- Il ne s’appelle pas Adolphus, objecta un critique.

-- C’est comme ça qu’on fait en poésie, dit le mineur; c’est comme qui dirait fantastique, voyez-vous. Ça vous a un autre son que Abe. Rapportez-vous en à lui pour deviner ce que ça veut dire. Je vais signer ça Carrie. Voilà!

Cette épître passa gravement de main en main et fit le tour de la chambre.

On la contempla avec le respect dû à une production aussi remarquable du cerveau de l’homme.

Elle fut ensuite pliée et confiée aux soins d’un petit garçon, qui reçut, avec accompagnement de terribles menaces, l’ordre de la porter à la cabane et de s’esquiver avant qu’on eût le temps de lui poser des questions embarrassantes.

Ce fut seulement quand il eut disparu dans l’obscurité qu’un peu, bien peu de componction se fit jour dans l’âme d’un ou deux assistants.

-- Et n’est-ce pas jouer un assez vilain tour à la demoiselle? dit Shamees.

-- Et se montrer assez cruel pour le vieux «Les Os», suggéra un autre.

Mais la majorité passa outre à ces objections, qui furent noyées complètement sous une nouvelle tournée de whisky.

L’on ne songeait presque plus à la chose au moment où Abe reçut la missive et se mit à l’épeler, le coeur palpitant, à la lueur de sa chandelle solitaire.

Chapitre IX

Cette nuit-là a laissé un long souvenir à l’Écluse de Harvey.

Une brise capricieuse descendait des montagnes lointaines, en gémissant et soupirant sur les claims déserts.

Des nuages noirs passaient rapidement sur la lune, jetant leur ombre sur le paysage terrestre et ensuite laissant reparaître la lueur argentée, froide, claire, sur la petite vallée, baignant d’une lumière étrange, mystérieuse, la vaste étendue de la Brousse qui se développait des deux côtés.

Une grande solitude semblait reposer sur la face de la Nature.

Les gens se rappelèrent plus tard cette atmosphère fantastique, magique, qui enveloppait la petite ville.

Il faisait très noir, quand Abe quitta sa petite cabane.

Son associé, le patron Morgan, était encore absent, resté dans la brousse, de sorte qu’à part la toujours vigilante Blinky, il n’y avait pas un être vivant qui pût épier ses allées et venues.

Il éprouvait une douce surprise, en son âme simple, à songer que les doigts mignons de son ange avaient pu tracer ces grands hiéroglyphes alignés, mais le nom était au bas, et cela lui suffisait.

Elle le demandait. Peu importait pourquoi; et ce rude mineur partait à l’appel de son amour, avec l’héroïsme d’un chevalier errant.

Il gravit tant bien que mal la route montante et tortueuse qui conduisait à la villa des Azalées.

Un petit massif d’arbrisseaux et de buisson se dressait à environ cinquante yards de l’entrée du jardin.

Abe s’y arrêta un instant pour reprendre sa présence d’esprit.

Il était à peine minuit et il n’avait devant lui que quelques minutes. Il s’assit sous leur voûte sombre et épia la maison blanche qui se dessinait vaguement devant lui.

C’était une maisonnette bien simple aux yeux d’un prosaïque mortel, mais elle était enveloppée, pour ceux de l’amoureux, d’une atmosphère de respect et de vénération.

Nouveaux Mystères et Aventures Page 32

Arthur Conan Doyle

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