Est-ce vrai, ou non? dit Dick d’un air piteux. Je pourrai avoir l’occasion de le savoir par moi-même.
-- Continuez, Dick, continuez, s’écria Tom. Racontez-nous ce que vous avez vu.
-- Eh bien voilà: j’allais à tâtons par la vallée en cherchant la vache de Madison, et j’étais arrivé, je crois, à moitié chemin de la pente, vers l’endroit où un rocher escarpé, tout noir, se dresse dans le ravin de droite. Je m’y arrêtai pour boire une gorgée.
«À ce moment-là, j’avais les yeux tournés vers cette pointe de rocher.
«Au bout d’un moment je vis surgir, en apparence, de la base du roc, à huit pieds de terre, et à une centaine de yards de distance, une étrange flamme livide, qui papillotait, oscillait, tantôt semblait près de s’éteindre, et tantôt reparaissait...
«Non, non, j’ai vu bien des fois le ver luisant et la mouche de feu. Ce n’était rien de pareil.
«Cette flamme était bien là, et je la regardai dix bonnes minutes en tremblant de tous mes membres.
«Je fis alors un pas en avant.
«Elles disparut instantanément, comme la flamme d’une bougie qu’on a soufflée.
«Je fis un pas en arrière; mais il me fallut un certain temps pour retrouver l’endroit exact et la position d’où la flamme était visible.
«À la fin, elle reparut, la lueur mystérieuse, mobile comme auparavant.
«Alors, rassemblant tout mon courage, je marchai vers le rocher, mais le sol était si accidenté qu’il m’était impossible de marcher en droite ligne, et quoique j’aie fait tout le tour de la base du rocher, je ne pus rien voir.
«Alors je me remis en route pour la maison, et je puis vous le dire, mes enfants, je ne me suis pas aperçu qu’il pleuvait pendant tout le long du trajet, jusqu’au moment où vous me l’avez dit.
Mais holà? Qu’est-ce qui prend à Tom?
Qu’est-ce qui lui prenait, en effet?
À ce moment-là Tom était assis, les jambes hors de sa caisse, et sa figure entière trahissait une excitation si intense qu’elle faisait peine à voir.
-- Le démon aurait deux yeux. Combien avez-vous vu de lumières, Dick? Parlez.
-- Une seule.
-- Hourra! s’écria Tom. À la bonne heure.
Sur quoi il lança d’un coup de pied les couvertures jusqu’au milieu de la pièce, qu’il se mit à arpenter à grands pas fiévreux.
Tout à coup, il s’arrêta devant Dick, et, lui mettant la main sur l’épaule:
-- Dites-moi, Dick, est-ce que nous pourrions arriver dans la vallée de Sasassa avant le lever du soleil?
-- Ce serait bien difficile.
-- Eh bien, faites attention, nous sommes vieux amis, Dick Wharton. Je vous le demande, d’ici à huit jours, ne parlez à personne de ce que vous venez de nous raconter. Vous le promettez, n’est-ce pas?
Au regard que jeta Dick sur la figure de Tom, il était facile de deviner qu’il regardait le pauvre Tom comme devenu fou, et je dois dire que sa conduite me confondit absolument.
Mais j’avais eu jusqu’alors tant de preuves du bon sens de mon ami et de sa rapidité de compréhension qu’il me parut parfaitement admissible que le récit de Dick avait pour lui un sens, bien que mon intelligence obtuse ne pût le saisir.
Chapitre III
Pendant toute la nuit, Tom fut extrêmement agité.
Lorsque Wharton nous quitta, il lui fit répéter sa promesse.
Il se fit également faire une description minutieuse de l’endroit où il avait vu l’apparition, et indiquer l’heure où elle s’était montrée.
Quand Wharton fut parti, vers quatre heures du matin, je me couchai dans ma caisse, d’où je vis Tom assis près du feu, occupé à lier ensemble, deux bâtons.
Je m’endormis.
Je dus dormir environ deux heures, mais à mon réveil, je trouvai Tom qui, dans la même attitude, était toujours à sa besogne.
Il avait fixé un des bouts de bois à l’extrémité de l’autre de manière à représenter grossièrement un T et il était actuellement en train de fixer dans l’angle un bout de bois plus petit au moyen duquel le bras transversal du T pouvait être placé dans une position plus ou moins relevée ou inclinée.
Il avait pratiqué des entailles dans le bâton vertical, de sorte qu’au moyen de ce petit étai, la croix pouvait être maintenue indéfiniment dans la même position.
-- Regardez cela, Jack, s’écria-t-il en me voyant réveillé, venez me donner votre opinion. Supposons que je mette ce bâton juste dans la direction d’un objet, et que je place cet autre bout de bois de manière à maintenir le premier, dans sa position, qu’ensuite je le laisse là, pourrais-je retrouver ensuite l’objet, si je le voulais? Ne croyez-vous pas que je le pourrais? Jack, ne le croyez-vous pas? reprit-il avec agitation, en me saisissant par le bras.
-- Oh! dis-je, cela dépendrait de la distance où se trouverait l’objet, et de l’exactitude avec laquelle votre bâton serait orienté. Si c’était à une distance quelconque, je taillerais des mires sur votre bâton en croix; au bout, j’attacherais une corde, que je ferais descendre en fil à plomb; et cela vous conduirait fort près de l’objet que vous voulez. Mais, assurément, Tom, ce n’est point votre intention de marquer ainsi la place exacte du fantôme.