-- Vous verrez ce soir, mon vieux, vous verrez ce soir. Je porterai cela à la vallée de Sasassa. Vous emprunterez le levier de Madison et vous viendrez avec moi; mais souvenez-vous bien qu’il ne faut dire à personne ni où vous allez, ni pourquoi vous voulez ce levier.
Tom passa toute la journée à se promener dans la pièce ou à travailler à son appareil.
Il avait les yeux brillants, les joues animées d’un rouge de fièvre, dont il présentait au plus haut degré tous les symptômes.
-- Fasse le ciel que le diagnostic de Dick ne se confirme pas, me dis-je, en revenant avec mon levier.
Et pourtant, quand vint le soir, je me sentis envahi à mon tour par cette excitation.
Vers six heures, Tom se leva et prit son instrument.
-- Je n’y tiens plus, Jack, dit-il, prenez votre levier, et en route pour la vallée de Sasassa. La besogne de cette nuit, mon vieux, nous rendra opulents ou nous achèvera. Prenez votre revolver, pour le cas où on rencontrerait des Cafres...
«Je n’ose pas prendre le mien, Jack, reprit-il en me mettant les mains sur les épaules, car si ma déveine me poursuit encore cette nuit, je ne sais ce que je serais capable n’en faire.
Ayant donc rempli nos poches de vivres, nous partîmes pour ce fatigant trajet de la vallée de Sasassa.
En route, je fis maints efforts pour tirer de mon compagnon quelques indications sur son projet.
Il se bornait à répondre:
-- Hâtons-nous, Jack. Qui sait combien de gens ont, à cette heure, entendu le récit de Wharton. Hâtons-nous, sans quoi nous ne serons peut-être pas les premiers arrivés sur le terrain.
Ah! Monsieur, nous fîmes un trajet de dix milles environ à travers les montagnes.
Enfin, après être descendus par une pente rapide, nous vîmes s’ouvrir devant nous un ravin si sombre, si noir qu’on eût pu le prendre pour la porte même de l’enfer.
Des falaises hautes de plusieurs centaines de pieds enfermaient de tous côtés ce défilé encombré de blocs éboulés qui conduisait à travers le pays hanté, dans la direction du Pays des Cafres.
La lune, surgissant au-dessus des escarpements, dessinait en contours des plus nets les dentelures irrégulières des rochers qui en formaient les sommets, pendant qu’au-dessous de cela tout était noir comme l’Érèbe.
-- La vallée de Sasassa? dis-je.
-- Oui, répondit Tom.
Je le regardai.
En ce moment, il était calme.
L’ardeur fébrile avait disparu.
Il agissait avec réflexion, avec lenteur.
Cependant, il avait dans les traits une certaine raideur, dans l’oeil une lueur qui annonçaient que l’instant grave était venu.
Chapitre IV
Nous entrâmes dans le défilé, en trébuchant parmi les éboulis.
Tout à coup j’entendis une exclamation courte, vive, lancée par Tom.
-- Le voici, le rocher, s’écria-t-il en désignant une grande masse qui se dressait devant nous dans l’obscurité.
-- Maintenant, je vous en supplie, faites bon usage de vos yeux. Nous sommes à environ cent yards de la falaise, à ce que je crois. Avancez lentement d’un côté; j’en ferai autant de l’autre. Si vous apercevez quelque chose, arrêtez-vous et appelez. Ne faites pas plus de douze pouces à chaque pas et tenez les yeux fixes sur l’escarpement à environ huit pieds de terre. Êtes-vous prêt?
-- Oui!
À ce moment j’étais encore plus excité que lui.
Quelle était son intention, qu’avait-il en vue?
Je n’avais pas même de supposition à ce sujet, si ce n’est qu’il se proposait d’examiner en plein jour la partie de la falaise d’où venait la lumière.
Mais l’influence de cette situation romanesque et de l’agitation que mon compagnon éprouvait en la comprimant, était si forte que je sentais le sang courir dans mes veines et le pouls battre violemment à mes tempes.
-- Partez, cria Tom.
Et alors nous nous mîmes en marche, lui à droite, moi à gauche, en tenant les yeux fixés sur la base du rocher.
J’avais avancé d’environ vingt pas, quand la chose m’apparut soudain.
À travers la nuit de plus en plus noire, brillait une petite lueur rouge, une lueur qui diminuait, qui augmentait, papillotait, oscillait, qui à chaque changement faisait un effet de plus en plus étrange.
L’antique superstition cafre s’empara de mon esprit et je sentis passer en moi un frisson glacial.
Dans mon agitation, je fis un pas en arrière.
Alors la lueur disparut instantanément, laissant à sa place une profonde obscurité.
Je m’avançai de nouveau.
Elle reparut, la lueur rouge, à la base du rocher.
-- Tom, Tom! criai-je.
-- Oui, j’y vais, l’entendis-je crier à son tour, comme il accourait à moi.
-- La voici... là, en haut, contre le rocher.
Tom était tout prés de moi.
-- Je ne vois rien, dit-il.
-- Voyons, là, là, ami, en face de vous.
En disant ces mots, je m’écartai un peu vers la droite, et aussitôt la lueur disparut à mes yeux.
Mais à en juger par les exclamations joyeuses que lançait Tom, il était évident qu’après avoir pris la place que j’avais occupée, il voyait aussi la lueur.
-- Jack, s’écria-t-il en se tournant et me serrant la main de toutes ses forces, Jack, vous et moi nous n’aurons plus lieu de nous plaindre de notre malchance.