-- Tandis qu’à présent?... demandai-je.

On eût dit vraiment que Bob était sur le point de me faire un compliment.

-- Eh bien, vous n’avez plus les boucles, et vous êtes maintenant bien plus grosse et plus mauvaise.

À un certain point de vue, c’est excellent d’avoir des frères.

Il n’est pas possible à une jeune personne qui en a, de se faire de ses mérites une opinion exagérée.

Je crois qu’à l’heure du déjeuner, tout le monde fut content d’apprendre le retour promis de Jack Hawthorne.

Par «tout le monde» j’entends ma mère, et Elsie, et Bob.

Notre cousin Salomon Barker, par contre, n’eut pas du tout l’air d’être accablé de joie quand je lançai cette nouvelle d’un ton triomphant, d’une voix haletante.

Jusqu’alors je n’y avais jamais songé, mais peut-être que ce jeune gentleman commence à s’éprendre d’Elsie et qu’il redoute un rival.

Sans cela je ne vois pas pourquoi une chose aussi simple l’aurait fait repousser son oeuf, déclarer qu’il avait déjeuné superbement, et cela d’un ton agressif qui permettait de douter de sa sincérité.

Grace Maberly, l’amie d’Elsie, avait l’air très contente, selon son habitude.

Quant à moi, j’étais dans un état de joie exubérante.

Jack et moi, nous avions été camarades d’enfance.

Il avait été pour moi comme un frère plus âgé, jusqu’au jour ou il était entré dans les cadets et nous avait quittés.

Que de fois Bob et lui ont grimpé aux pommiers du vieux Brown, pendant que je me tenais par-dessous et recevais le butin dans mon petit tablier blanc.

Il n’y avait guère dans ma mémoire d’escapade, guère d’aventure où Jack ne jouât un rôle de premier ordre.

Mais désormais il était «le lieutenant» Hawthorne.

Il avait fait la guerre d’Afghanistan, et, selon l’expression de Bob, c’était «un guerrier fini».

Quelle tournure allait-il avoir?

Je ne sais comment cette expression de «guerrier» avait fait surgir l’image de Jack en armure complète, avec des plumes au casque, altéré de sang, et s’escrimant avec une épée énorme sur un adversaire.

Après un tel exploit, je craignais bien qu’il ne condescendît plus à jouer à saute-mouton, aux charades et aux autres amusements traditionnels de Hatherley House.

Le cousin Sol fut certainement très déprimé pendant les quelques jours qui suivirent.

On avait toutes les peines du monde à le décider à faire un quatrième aux parties de tennis.

Il témoignait une passion tout à fait extraordinaire pour la solitude et le tabac fort.

Nous tombions sur lui dans les endroits les plus inattendus, dans les massifs, le long de la rivière, et dans ces occasions, s’il lui était impossible de nous éviter, il tenait son regard rigoureusement fixé vers le lointain et refusait d’entendre nos appels féminins et de s’apercevoir qu’on agitait des ombrelles.

Cela était certainement fort peu chic de sa part.

Un soir, après dîner, je m’emparai de lui, et, me dressant de toute ma hauteur, qui atteint cinq pieds quatre pouces et demi, je me mis en devoir de lui dire ce que je pensais de lui.

C’est un procédé que Bob regarde comme le comble de la charité, car il consiste à donner libéralement ce dont j’ai moi-même le plus grand besoin.

Le cousin Sol flânait dans un rocking-chair, le Times devant lui, et regardait le feu par dessus son journal, d’un air maussade.

Je me rangeai sur son flanc et lui envoyai ma bordée.

-- On dirait que nous vous avons fâché, master Barker, dis-je d’un ton de hautaine courtoisie.

-- Que voulez-vous dire, Nell? demanda mon cousin en me regardant avec surprise.

Il avait une façon bien bizarre de me regarder, le cousin Sol.

-- Il semble que vous ne teniez plus à notre société, remarquai- je.

Puis, descendant soudain de mon ton héroïque:

-- Vous êtes stupide, Sol. Qu’est-ce qui vous a donc pris?

-- Rien du tout, Nell, ou du moins rien qui en vaille la peine. Vous savez que je passe mon examen de médecine dans deux mois et que je dois m’y préparer.

-- Oh! dis-je, tout hérissée d’indignation, si c’est cela, alors n’en parlons plus. Naturellement, si vous préférez des os à vos jeunes parentes, c’est fort bien. Il y a des jeunes gens qui feraient de leur mieux pour se rendre agréables, au lieu de bouder dans les coins et d’apprendre à dépecer leurs semblables avec des couteaux.

Et après avoir ainsi résumé la noble science de la chirurgie, je m’occupai avec une violence exagérée à remettre en place des têtières qui n’en pouvaient mais.

Je voyais bien le cousin Sol regarder, d’un air amusé, la petite personne aux yeux bleus qui allait et venait en colère devant lui.

-- Ne soufflez pas sur moi, Nell, dit-il. J’ai déjà été cueilli une fois, vous savez. En outre (et alors il prit une figure grave) vous aurez assez de distractions quand arrivera ce... comment se nomme-t-il?... le lieutenant Hawthorne.

-- Ce n’est pas toujours Jack qui irait fréquenter les momies et les squelettes, remarquai-je.

-- Est-ce que vous l’appelez toujours Jack? demanda l’étudiant.

-- Naturellement. Ce nom de John, cela vous a l’air si raide.

Nouveaux Mystères et Aventures Page 42

Arthur Conan Doyle

Scottish Authors

Free Books in the public domain from the Classic Literature Library ©

Sir Arthur Conan Doyle
Classic Literature Library
Classic Authors

All Pages of This Book