-- Oh! oui, c’est vrai, dit mon interlocuteur d’un air de doute.
J’avais toujours, trottant dans ma tête ma théorie au sujet d’Elsie.
Je me figurai que je pourrais essayer de donne aux choses une tournure plus gaie.
Sol s’était levé et regardait par la fenêtre.
J’allai l’y rejoindre et regardai timidement sa figure qui, d’ordinaire, exprimait la bonhomie et qui, en ce moment, avait l’air très sombre, très malheureuse.
En tout temps, il était très renfermé, mais je pensai qu’en le poussant un peu je l’amènerais à un aveu.
-- Vous êtes un vieux jaloux, dis-je.
Le jeune homme rougit et me regarda.
-- Je connais votre secret, dis-je hardiment.
-- Quel secret? dit-il en rougissant davantage.
-- Ne vous tourmentez pas, je le connais. Permettez-moi de vous dire, repris-je, devenant plus hardie encore, que Jack et Elsie n’ont jamais été très bien ensemble. Il y a bien plus de chance pour que Jack devienne amoureux de moi. Nous avons toujours été amis.
Si j’avais planté dans le corps du cousin Sol l’aiguille à tricoter que je tenais à la main, il n’aurait pas bondi plus haut.
-- Grands Dieux! s’écria-t-il.
Et je vis fort bien dans le crépuscule ses yeux noirs se fixer sur moi.
-- Est-ce que vous croyez réellement que c’est votre soeur qui m’occupe.
-- Certainement, dis-je d’un ton ferme, avec la conviction que je clouais mon drapeau au grand mât.
Jamais un simple mot ne produisit pareil effet.
Le cousin Sol fit un tour sur lui-même, la respiration coupée de saisissement, et sauta bel et bien par la fenêtre.
Il avait toujours eu de bizarres façons d’exprimer ses sentiments, mais cette fois-ci il s’y prit d’une manière si originale que la seule impression qui s’empara alors de moi fut celle de la stupéfaction.
Je restai là à regarder fixement dans l’obscurité croissante.
Alors je vis sur la pelouse une figure qui me regardait aussi d’un air abasourdi et stupéfait.
-- C’est à vous que je pense, Nell, dit la figure.
Après quoi elle disparut.
Puis, j’entendis le bruit de quelqu’un qui courait à toutes jambes dans l’avenue.
C’était un jeune homme fort extraordinaire.
Les choses allèrent leur train quotidien à Hatherley House, malgré la déclaration d’affection qu’avait faite de manière caractéristique le cousin Sol.
Il ne me sonda jamais au sujet des sentiments que j’éprouvais à son égard et plusieurs jours se passèrent sans qu’il fît la moindre allusion à la chose.
Évidemment, il croyait avoir fait tout ce qu’il est indispensable de faire en pareilles circonstances.
Toutefois, de temps à autre, il lui arrivait de m’embarrasser terriblement, quand il survenait, se plantait bien devant moi, me regardait avec la fixité de la pierre, ce qui était absolument épouvantable.
-- Ne faites pas ça, Sol, lui dis-je un jour, vous me faites frissonner des pieds à la tête.
-- Pourquoi est-ce que je vous donne le frisson, Nelly? dit-il. N’est-ce pas parce que vous avez de l’affection pour moi?
-- Oh! oui, j’en ai assez, de l’affection. J’en ai pour Lord Nelson, s’il s’agit de cela, mais il ne me plairait guère que sa statue vienne se planter devant moi et reste des heures à me regarder. Voilà qui me met dans tous mes états.
-- Qu’est-ce qui a pu vous mettre lord Nelson dans la tête? dit mon cousin.
-- Il est sûr que je n’en sais rien.
-- Est-ce que vous avez pour moi la même affection que vous avez pour Lord Nelson, Nell?
-- Oui, seulement plus forte.
Et le pauvre Sol dut se contenter de cette petite lueur d’encouragement, car Elsie et miss Maberly entrèrent à grand bruit dans la chambre et mirent fin à notre tête-à-tête.
J’avais de l’affection pour mon cousin, c’était certain.
Je savais quel caractère simple et loyal se cachait sous son extérieur tranquille.
Et pourtant l’idée d’avoir pour amoureux Sol Barker -- Sol, dont le nom même est synonyme de timidité -- c’était trop incroyable.
Que ne s’éprenait-il de Grace, ou bien d’Elsie?
Elles auraient su que faire de lui. Elles étaient plus âgées que moi. Elles pouvaient lui donner de l’encouragement ou le rabrouer, si elles aimaient mieux.
Mais Grace était occupée à flirter tout doucement avec mon frère Bob et Elsie paraissait ne se douter absolument de rien.
J’ai gardé souvenir d’un trait typique du caractère de mon cousin, que je ne puis m’empêcher de rapporter ici, bien qu’il soit tout à fait en dehors de la suite de mon récit.
C’était à l’occasion de sa première visite à Hatherley House. La femme du Recteur vint un jour nous rendre visite et la responsabilité de la recevoir échut à Sol et à moi.
Tout alla fort bien en commençant.
Sol se montra extraordinairement animé et causeur.
Malheureusement un mouvement d’hospitalité s’empara de lui, et, malgré de nombreux signes, et coups d’oeil pour l’avertir, il demanda à la visiteuse s’il se permettrait de lui offrir un verre de vin.
Or, comme si la malchance l’eût voulu, notre provision venait d’être achevée, et bien que nous eussions écrit à Londres, l’envoi n’était pas encore arrivé à destination.