J’attendais la réponse, respirant à peine.
J’espérais un refus, mais quelle ne fut pas mon épouvante! Elle accepta avec empressement.
-- Ne vous donnez pas la peine de sonner, Nell, dit Sol. Je ferai le sommelier.
Et avec un sourire plein de confiance, il se dirigea vers le petit placard où l’on mettait ordinairement les carafons.
Ce fut seulement après s’être engagé à fond qu’il se rappela soudain avoir entendu dire dans la matinée qu’il n’y avait plus de vin à la maison.
Son angoisse d’esprit fut telle qu’il passa le reste de la visite de mistress Salter dans le placard et se refusa à en sortir jusqu’à ce qu’elle fût partie.
S’il y avait eu une possibilité quelconque que le placard du vin eût une autre issue, qui aboutît ailleurs, la chose se serait arrangée, mais je savais la vieille mistress Salter parfaitement au fait de la géographie de la maison; elle la connaissait aussi bien que moi.
Elle attendit pendant trois quarts d’heure que Sol reparût.
Puis elle s’en alla de fort mauvaise humeur.
-- Mon cher, dit-elle en racontant l’histoire à son mari, et dans son indignation ayant recours à un langage presque calqué sur celui de l’écriture, on eût dit que le placard s’était ouvert et l’avait englouti.
Chapitre II
-- Jack arrive par le train de deux heures, dit un matin Bob, apparaissant au déjeuner une dépêche à la main.
Je pus saisir au vol un regard de reproche que me lançait Sol, mais cela ne m’empêcha point de manifester ma joie à cette nouvelle.
-- Nous nous amuserons énormément quand il sera là, dit Bob. Nous viderons l’étang à poissons. Nous nous divertirons à n’en plus finir. N’est-ce pas, Sol, ce sera charmant.
L’opinion de Sol sur ce que cela pouvait avoir de charmant était évidemment de celles que l’on ne peut rendre par des paroles, car il ne répondit que par un grognement inarticulé.
Ce matin-là, je songeai longuement à Jack dans le jardin.
Après tout, je me faisais grande fille, ainsi que Bob me l’avait rappelé un peu rudement.
Il me fallait désormais me montrer réservée dans ma conduite.
Un homme, en chair et en os, avait bel et bien jeté sur moi un regard épris.
Quand j’étais une enfant, que j’eusse Jack derrière moi et qu’il m’embrassât, cela pouvait aller le mieux du monde mais désormais je devais le tenir à distance.
Je me rappelai qu’un jour il me fit présent d’un poisson crevé qu’il avait tiré du ruisseau de Hatherley, et que je rangeai cet objet parmi mes trésors les plus précieux, jusqu’au jour où une odeur traîtresse qui se répandait dans la maison fut cause que ma mère écrivit à M. Burton une lettre pleine d’injures, parce que celui-ci avait déclaré que notre système de drainage était aussi parfait qu’on pouvait le désirer.
Il faut que j’apprenne à être d’une politesse guindée qui tient les gens à distance.
Je me représentai notre rencontre, et j’en fis une répétition.
Le massif de chèvrefeuille représentant Jack, je m’en approchai solennellement, je lui fis une révérence majestueuse et lui adressai ces paroles, en lui tendant la main.
-- Lieutenant Hawthorne, je suis fort heureuse de vous voir.
Elsie survint pendant que je me livrais à cet exercice; elle ne fit aucune observation, mais au lunch, je l’entendis demander à Sol si l’idiotie se transmettait dans une famille, ou si elle restait bornée aux individus.
À ces mots, le pauvre Sol rougit terriblement et se mit à bafouiller de la façon la plus confuse en voulant donner des explications.
Chapitre III
La cour de notre ferme donne sur l’avenue à peu près à égale distance de Hatherley House et de la loge.
Sol, moi, et master Nicolas Cronin, fils d’un esquire[2] du voisinage, nous y allâmes après le lunch.
Cette imposante démonstration avait pour objet de mater une révolte qui avait éclaté dans le poulailler.
Les premières nouvelles de l’insurrection avaient été apportées à la maison par le petit Bayliss, fils et héritier de l’homme préposé aux poules, et on avait requis instamment ma présence.
Qu’on me permette de dire en passant que la volaille était le département d’économie domestique dont j’étais tout spécialement chargée; et qu’il n’était pris aucune mesure en ce qui les concernait, sans qu’on eût recours à mes conseils et à mon aide.
Le vieux Bayliss sortit en clopinant à notre arrivée et me donna de grands détails sur l’émeute. Il paraît que la poule à crête et le coq de Bantam avaient acquis des ailes d’une longueur telle qu’ils avaient pu voler jusque dans le parc et que l’exemple donné par ces meneurs avait été contagieux, au point que de vieilles matrones de moeurs régulières, telles que les Cochinchinoises aux pattes arquées, avaient manifesté de la propension au vagabondage et poussé des pointes jusque sur le terrain défendu.
On tint un conseil de guerre dans la cour, et l’on décida à l’unanimité que les mutins auraient les ailes rognées.
Quelle course folle nous fîmes! Par nous, j’entends master Cronin et moi, car le cousin Sol restait à planer dans le lointain, les ciseaux à la main, et à nous encourager.