«Il se tenait le plus souvent à l’écart et ne se mêlait d’aucune affaire tant qu’on le laissait tranquille.

«Certains disaient qu’il avait été comme qui dirait persécuté dans son pays, qu’il avait été Chartiste, ou quelque chose dans ce genre, qu’il lui avait fallu lever le pied et décamper, mais il n’en parlait jamais lui-même et ne se plaignait jamais.

«Cet individu de Scott était une sorte de cible pour les gens du Montana, tant il était tranquille et avait l’air simple.

«Il n’avait personne pour le soutenir dans ses ennuis, car, comme je le disais tout à l’heure, c’est à peine si les Anglais le regardaient comme l’un des leurs, et on lui fit plus d’une mauvaise farce.

«Il ne répondait jamais grossièrement; il était poli avec tout le monde.

«Je crois que les gens en vinrent à croire qu’il manquait d’énergie, jusqu’au jour où il leur montra qu’ils se trompaient.

«Ce fut au bar de Simpson que le coup se monta, et ça aboutit à la drôle de chose que j’allais vous conter.

Chapitre II

«Alabama Joe et un ou deux autres vauriens en voulaient alors à mort aux Anglais, et ils disaient ouvertement ce qu’ils pensaient, quoique je les eusse avertis que ça pourrait bien aboutir à une terrible affaire.

«Ce soir-là, en particulier, Joe était plus qu’à moitié ivre.

«Il faisait le fanfaron par la ville avec son révolver et cherchait quelqu’un avec qui se chamailler.

«Alors il retourna au bar, où il était certain de rencontrer quelqu’un des Anglais aussi disposé à une querelle qu’il l’était lui-même.

«Et pour sûr, en effet; il y en avait une demi-douzaine qui flânaient par là et Tom Scott était debout seul devant le poêle.

«Joe s’assit près de la table, et mit devant lui son révolver et son bowie-knife.

«-- Les voici, mes arguments, Jeff me dit-il, si jamais un de ces Anglais au foie blanc ose me donner un démenti.

«Je tentai de l’arrêter, Messieurs, mais il n’était pas homme à se laisser convaincre si aisément, et il se mit à tenir des propos tels que personne ne pouvait les endurer.

«Oui, un graisseur lui-même aurait pris feu, si vous lui aviez tant parlé du pays de la Graisse.

«Il y eut de l’émotion dans le bar, et chacun mit la main sur ses armes, mais avant qu’ils eussent le temps de les tirer, on entendit une voix calme, partant du côté du poêle, dire:

«-- Faites vos prières, Joe Hawkins, car, par le ciel, vous êtes un homme mort.

«Joe fit demi-tour et fit le geste de prendre son arme, mais ça ne servait à rien.

«Tom Scott était debout et le tenait sous son Derringer.

«Sa face pâle était souriante, et c’était le diable en personne qu’on voyait dans ses yeux.

«-- Ça n’est pas que le vieux pays se soit montré bien tendre pour moi, dit-il, mais jamais personne n’en dira du mal devant moi.

«Pendant une ou deux secondes, je vis son doigt presser peu à peu sur la gâchette.

«Puis il éclata de rire, et jetant son révolver à terre:

«-- Non, dit-il, je ne peux pas tuer un homme qui est à moitié ivre. Gardez votre sale existence Joe, et employez-la mieux que vous n’avez fait. Vous avez été plus près de la tombe ce soir que vous ne le serez jamais jusqu’à ce que votre heure soit venue. Vous ferez mieux de partir, pour la forêt, je parie. Non, ne me regardez pas de cet air farouche. Je n’ai pas peur de votre arme: un fanfaron est bien près d’être un lâche.

«Et il fit demi-tour d’un air méprisant, ralluma au poêle sa pipe, qu’il n’avait pas fini de fumer, pendant qu’Alabama s’esquivait du bar, accompagné par les rires bruyants des Anglais.

«Je vis sa figure quand il passa près de moi, et sur cette figure je vis l’assassinat, Messieurs, l’assassinat, aussi clairement que la chose que j’ai jamais vue le plus clair.

«Je m’attardai au bar après cette querelle, et je regardai Tom Scott à qui tous les hommes allaient serrer la main.

«Ça me semblait comme qui dirait étrange de lui voir l’air si souriant et si gai, car je connaissais le caractère sanguinaire de Joe, et je me disais que l’Anglais n’avait guère de chance de voir le lendemain matin.

«Il habitait dans un endroit en quelque sorte désert, vous savez, tout à fait en dehors de la route battue, et il lui fallait pour s’y rendre passer par le ravin du Piège à mouche.

«Ce ravin-là était un endroit sombre et marécageux, fort solitaire même en plein jour, car ça vous donnait le frisson rien que de voir ces grandes feuilles de huit ou dix pieds de long se fermer brusquement pour peu que quelque chose les toucha, mais la nuit il n’y avait pas une âme dans les environs.

«En outre, dans certains endroits du ravin le sol était mou jusqu’à une grande profondeur et si on y avait jeté un corps, on ne l’aurait plus revu le lendemain.

«Je croyais voir Alabama Joe tapi sous les feuilles du grand Piège à mouche dans la partie la plus sombre du ravin, l’air farouche, le revolver en main, je le voyais presque, Messieurs, comme si je l’avais eu sous les yeux.

«Vers minuit, Simpson ferme son bar, en sorte qu’il nous fallut partir.

«Tom Scott se mit en route d’un bon pas pour son trajet de trois milles.

Nouveaux Mystères et Aventures Page 54

Arthur Conan Doyle

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